Les projets migratoires et ses motifs pèsent sur la fécondité des femmes migrantes. La moitié des femmes primo-arrivantes admises au séjour en 2018 sont déjà mères à leur arrivée en France. Puis, de cette installation jusqu’en 2022, une primo-arrivante sur quatre devient mère pour la première fois. Un tiers de ces naissances se concentrent d’ailleurs les 4 années suivant la migration. La fécondité des primo-arrivantes durant leurs premières années en France diffère cependant selon leur profil. Les femmes actives sur le marché du travail dès leur installation sur le territoire ont moins souvent d’enfants les années suivantes alors que celles originaires de pays à très forte fécondité en ont davantage.
Les immigrés arrivant en France ont des motifs et projets migratoires divers, et l’immigration peut être transitoire, définitive ou temporaire. Ces projets et motifs migratoires pèsent fortement sur la fécondité des femmes migrantes. En 2021, en France, l’indicateur conjoncturel de fécondité (définition) des femmes nées à l’étranger s’établit à 2,3 enfants par femme en moyenne, contre 1,7 pour celles nées en France [1]. Il est le plus élevé pour les femmes nées au Maghreb (2,5) et dans les autres pays d’Afrique (3,3). À l’inverse, l’indicateur conjoncturel de fécondité des femmes nées en Europe du Sud est le plus faible, à 1,6. Néanmoins la fécondité des femmes immigrées varie tout au long de leur trajectoire, en particulier les années précédant et suivant la migration.
A leur arrivée en France, la moitié des femmes primo-arrivantes (définition) admises au séjour en 2018 sont déjà mères : 18 % d’entre-elles sont à la tête d’une famille monoparentale tandis que 32 % vivent en couple avec au moins un enfant (figure 1). Cette situation familiale évolue grandement au cours des années suivantes. En 2022, soit 4 ans après leur première admission au séjour (encadré 1), près de 3 primo-arrivantes sur quatre sont maman : 54 % vivent en couple avec des enfants et 19 % élèvent seules leurs enfants. Ainsi sur la période, d’en moyenne 11 ans, une primo-arrivante sur quatre devient mère pour la première fois. Une fois sur deux, ces dernières étaient déjà en couple à leur arrivée en France.
Lecture : A l’arrivée en France 28 % des primo-arrivantes sont seules sans enfant. 4 ans après leur admission au séjour, ces dernières sont 15 %.
Champ : Femmes détentrices d’un premier titre de séjour de plus d’un an (hors motif étudiant), majeures et résidant dans un des dix départements couverts par Elipa 2 en 2018.
Source : Elipa 2, DSED, Ministère de l’Intérieur.
Plus de la moitié des enfants de femmes primo-arrivantes de 2018 naissent à l’étranger (figure 3). Ensuite près d’un tiers des naissances ont lieu dans les 4 années suivant l’arrivée en France de leur mère. La première année après leur arrivée est d’ailleurs celle où l’on observe le plus de naissances, soit 12 % d’entre-elles. Ces bébés constituent le plus souvent le premier enfant des primo-arrivantes. En effet, un an avant la migration, 53 % des primo-arrivantes ne sont pas mères contre 32 % 4 ans après leur arrivée en France (figure 2). Ainsi, sur cette période de 5 ans, 21 % des primo-arrivantes deviennent mères. Parallèlement, les femmes primo-arrivantes avant leur arrivée en France accueillent de nouveaux enfants : 23 % des primo-arrivantes mères avant leur migration ont un nouvel enfant dans les 5 années suivantes.
Lecture : Un an avant l’arrivée en France, 53 % des primo-arrivantes n'ont pas d'enfant. 4 ans après leur arrivée en France, ces dernières sont 32 %.
Champ : Femmes détentrices d’un premier titre de séjour de plus d’un an (hors motif étudiant), majeures et résidant dans un des dix départements couverts par Elipa 2 en 2018.
Source : Elipa 2, DSED, Ministère de l’Intérieur.
Lecture : 4 % des naissances des primo-arrivantes de 2018 ont eu lieu l’année de la migration.
Champ : Naissances des enfants des femmes détentrices d’un premier titre de séjour
de plus d’un an (hors motif étudiant), majeures et résidant dans un des dix départements couverts par Elipa 2 en 2018.
Source : Elipa 2, DSED, Ministère de l’Intérieur.
Les principales évolutions dans la composition familiale des primo-arrivantes se produisent ainsi les premières années suivant leur arrivée en France. Cela s’explique en partie par l’impact de la migration sur la famille. D’une part, l’anticipation de la migration entraîne un décalage des naissances, celles-ci ayant davantage lieu peu de temps après la migration [2]. D’autre part, les femmes primo-arrivantes migrent souvent pour rejoindre de la famille, conjoint ou enfants, permettant plus favorablement une nouvelle naissance [3].
L’enquête Elipa 2 suit pendant quatre ans les immigrés ayant obtenu leur premier titre de séjour en 2018. A chaque interrogation, l’enquêté renseigne l’année de naissance de chacun de ses enfants. Sont ainsi connus tous les enfants de chaque enquêté jusqu’en 2022, soit la dernière année d’interrogation de l’enquête et 4 ans après leur admission au séjour en France. L’enquêté répond également à des questions sur ses conditions d’arrivée en France et sur tout son parcours jusqu’à 4 ans après son admission au séjour.
De nombreuses femmes primo-arrivantes n’ont pas encore terminé leur vie féconde en 2022 et sont susceptibles d’avoir d’autres enfants. Ainsi, la descendance finale des primo-arrivantes n’est pas connue d’Elipa 2, sauf pour celles ayant 50 ans ou plus en 2022. Ces dernières ont eu au cours de leur vie 2,61 enfants en moyenne. Ces femmes n’étant pour autant pas représentatives des primo-arrivantes plus jeunes dont on ne peut présager de leur fécondité future, Elipa 2 ne permet pas d’estimer l’indicateur conjoncturel de fécondité de la cohorte de primo-arrivantes qu’elle suit [2].
Ceci dit, la fécondité des femmes migrantes les quelques années après leur migration en France peut être suivie sans biais grâce à Elipa 2, selon leurs caractéristiques socioéconomiques et il est possible d’en estimer les déterminants toutes choses égales par ailleurs.
La propension à avoir des enfants les années suivant leur installation en France varie selon les profils sociodémographiques et socioéconomiques des femmes. En effet, celles arrivées parmi les plus jeunes ou sans enfant ont plus souvent des enfants juste après la migration. Ainsi, à caractéristiques identiques, ne pas avoir d’enfant à l’arrivée en France augmente de 30 % la probabilité d’avoir un premier enfant par rapport aux femmes ayant déjà trois enfants ou plus. Concernant l’âge, toutes choses égales par ailleurs, les femmes de 20 à 29 ans ont 42 % de chances en plus d'avoir des enfants dans les quatre années suivant leur migration que celles de 30 à 39 ans (encadré 2).
La moitié des naissances d’enfants de mères primo-arrivantes de 20 à 29 ans surviennent d’ailleurs dans les quatre années suivant la migration, contre 37 % pour celles de 30 à 39 ans. Il en est de même pour les naissances des enfants des femmes arrivées sans enfant sur le territoire qui sont particulièrement concentrées les quatre années suivant la migration.
A l’inverse, les primo-arrivantes ayant deux enfants ou plus au moment de leur migration ont 20 % de chances en moins d'avoir des enfants les 4 années suivantes que celles en ayant déjà un, à autres caractéristiques égales. 40 % des naissances supplémentaires de femmes ayant un enfant à leur arrivée en France ont lieu dans les quatre années suivant la migration, contre 25 % pour celles en ayant déjà deux (figure 4).
Cependant, l'âge et le nombre d’enfants avant la migration ne sont pas les seuls facteurs déterminants. L'insertion professionnelle de ces femmes joue également un rôle important.
Les femmes primo-arrivantes en emploi dès leur arrivée en France, ou plus largement celles déclarant venir en France pour travailler, ont moins souvent des enfants les années suivant leur migration. En effet, les femmes actives sur le marché du travail dès leur arrivée en France ont, toutes choses égales par ailleurs, 30 % de chances en moins d'avoir un nouvel enfant dans les quatre années suivant leur migration que les inactives, en particulier les femmes au foyer (encadré 2).
Plus de quatre naissances sur dix de femmes inactives à leur arrivée en France surviennent dans les quatre années suivant leur migration, contre trois sur dix pour celles en emploi ou en recherche d’emploi (figure 4). De plus, les femmes au chômage à leur arrivée en France connaissent leur pic de naissance deux années après la migration, contre un an pour toutes les autres femmes. Il est probable que la recherche de stabilité professionnelle explique ce décalage des naissances pour les femmes en recherche d’emploi [4].
Les femmes primo-arrivantes les moins diplômées ont davantage d’enfants avant la migration que les diplômées : respectivement trois sur cinq et deux sur cinq. Le niveau de diplôme à l’arrivée en France n’impacte pourtant pas, toutes choses égales par ailleurs, la fécondité des femmes primo-arrivantes durant leurs premières années en France (encadré 2). Cette différence est ainsi due d’abord à d’autres facteurs. Bien que plus diplômées que les hommes, les femmes primo-arrivantes ont plus de difficultés à s’insérer sur le marché du travail, et occupent davantage d’emplois peu qualifiés [5]. Or, les incertitudes et frustrations rencontrées par les primo-arrivantes sur le marché du travail peuvent les encourager à s’investir dans leur sphère familiale [6].
Lecture : 23 % des naissances des primo-arrivantes de 2018 sont issues de femmes sans enfant et ont eu lieu un an après l’arrivée en France.
Champ : Naissances des enfants de femmes détentrices d’un premier titre de séjour de
plus d’un an (hors motif étudiant), majeures et résidant dans un des dix départements couverts par Elipa 2 en 2018.
Source : Elipa 2, DSED, Ministère de l’Intérieur.
Un modèle de régression logistique binaire est estimé pour expliquer la probabilité qu’une femme primo-arrivante connaisse ou non une naissance dans les 4 ans qui suivent sa migration, avec :
Ƥi la probabilité d’avoir un enfant dans les 4 ans suivant la migration, β les paramètres du modèle et X la matrice de variables explicatives des caractéristiques de la primo-arrivante, au moment de l’arrivée en France : âge, couple, nombre d’enfants, pays d’origine, fécondité du pays d’origine, diplôme, logement, emploi, maîtrise de la langue, motif déclaré d’arrivée. Le modèle prédit correctement les naissances dans 75 % des cas et l’estimation des effets marginaux de ce modèle est rapportée ci-dessous :
Lecture : Toutes choses égales par ailleurs, avoir au moins trois enfants à son arrivée en France diminue de 30 % la probabilité d’avoir une naissance supplémentaire dans les 4 ans qui suivent la migration.
Champ : Femmes âgées d’entre 14 et 49 ans au moment de leur arrivée en France. Détentrices d’un premier titre de séjour
de plus d’un an (hors motif étudiant), majeures et résidant dans un des dix départements couverts par Elipa 2 en 2018.
Source : Elipa 2, DSED, Ministère de l’Intérieur.
La fécondité des femmes immigrées en France varie aussi selon plusieurs facteurs de socialisation liés à leur pays d’origine.
Les femmes originaires de pays où la fécondité est élevée ont plus souvent un enfant les années suivant la migration. Toutes choses égales par ailleurs, quand l’indicateur conjoncturel de fécondité du pays d’origine augmente d’un enfant par femme, les primo-arrivantes ont 26 % de chances en plus d’avoir un enfant les 4 années suivant leur installation en France (encadré 2).
Au sein des 15 nationalités les plus représentées parmi les primo-arrivantes, ce ratio est similaire et atteint 20 % en moyenne (figure 5). Globalement, la propension des femmes à avoir une naissance dans les quatre années suivant la migration augmente avec le nombre moyen d’enfants par femme dans le pays de naissance. Deux profils se distinguent toutefois parmi ces quinze principales nationalités.
D’une part, les femmes maghrébines ou bangladaises ont plus souvent un nouvel enfant dans les quatre ans qui suivent la migration, malgré une fécondité du pays de naissance relativement faible. Parmi elles, 7 sur 10 ont tout au plus un enfant à leur arrivée en France. De plus, ces femmes s’installent davantage en France que les autres primo-arrivantes pour y rejoindre de la famille déjà présente et la plupart sont en couple et au foyer à leur arrivée. Ces éléments favorisent l’arrivée d’une naissance peu de temps après l’arrivée en France.
Un autre profil regroupe les femmes originaires de la République Démocratique du Congo. Dans ce pays, les femmes ont en moyenne 6 enfants. Pourtant, leur propension à avoir une naissance lors des quatre années suivant la migration est similaire à celles de femmes venant de pays à fécondité beaucoup plus basse.
Plusieurs éléments expliquent cette tendance. D’abord seules 23 % des Congolaises sont en couple à l’arrivée en France, près de deux tiers d’entre-elles déclarent avoir migré pour des motifs humanitaires et plus de la moitié sont déjà mères à leur arrivée sur le territoire. En comparaison, les Maliennes, qui ont un niveau de fécondité dans le pays d’origine similaire, ont une propension plus élevée d’avoir une naissance les quatre ans qui suivent la migration par rapport aux Congolaises, du fait notamment qu’elles viennent plus fréquemment pour des motifs familiaux, et n’ont pour la plupart pas d’enfants.
A nombre d’enfants à l’arrivée en France, âge à la migration, raison déclarée de la migration et fécondité dans le pays d’origine égaux, les primo-arrivantes maghrébines ont entre 20 % et 50 % plus de chances de faire un enfant les 4 années après leur installation que les autres primo-arrivantes (encadré 2).
Lecture : Les immigrés originaires de Syrie, pays ou la fécondité est de 2,68 enfants par femme, sont 30 % à avoir une naissance les 4 années suivant la migration.
Champ : 15 principales nationalités de femmes détentrices d’un premier titre de séjour de plus d’un an (hors motif étudiant), majeures et résidant dans un des dix départements couverts par Elipa 2 en 2018.
Source : Elipa 2, DSED, Ministère de l’Intérieur et ONU, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2024).
Indicateur conjoncturel de fécondité : L'indicateur conjoncturel de fécondité, ou somme des naissances réduites, mesure le nombre d'enfants qu'aurait une femme tout au long de sa vie, si les taux de fécondité observés l'année considérée à chaque âge demeuraient inchangés.
Primo-arrivant : dit aussi primo-détenteur, un primo-arrivant est, dans Elipa 2, une personne originaire d’un pays tiers à l’Union européenne des vingt-huit, et hors Royaume-Uni, Islande, Norvège, Lichtenstein et Suisse, disposant d’un premier titre de séjour d’au moins un an délivré en 2018 (hors motif étudiant).
La seconde édition de l’ Enquête Longitudinale sur l’Intégration des Primo-Arrivants, Elipa 2 , a pour objectifs principaux d’appréhender le parcours d’intégration en France des immigrés les quatre années qui suivent l’obtention de leur premier titre de séjour (hors motif « étudiant »). En France métropolitaine, près de 120 000 personnes ont obtenu un premier titre de séjour d’au moins un an (hors motif étudiants) en 2018, dont plus de 59 000 dans les dix départements les plus peuplés par les primo-arrivants. L’ enquête Elipa 2 est représentative de ces derniers.
Les sondés de cette enquête statistique ont été interviewés en 2019, 2020 et 2022, dans la langue de leur choix parmi les dix langues les plus parlées en France. Avec plus de 6 500, 5 000 et 4 000 répondants à chacune des trois vagues d’interrogations, l’enquête forme un panel unique utile à l’estimation de la fécondité des femmes primo-arrivantes.
→ Enquête Longitudinale sur l’Intégration des Primo-Arrivants (ELIPA 2)
[1] Reynaud, D. (2023). « Combien les femmes immigrées ont-elles d’enfants ? », Insee Première n°1939
[2] Toulemon, L. (2004), « La fécondité des immigrées : nouvelles données, nouvelle approche », Ined, Population et Société n°400.
[3] Hamel, C. Lhommeau, B., Pailhé, A. & Santelli, E. (2013), « Rencontrer son conjoint dans un espace multiculturel et international. » 2013. hal-04209870
[4] Pailhé, A., & Régnier-Loilier, A. (2015). « Unemployment delays parenthood in France. » Population Societies, 528(11), 1‑4.
[5] DSED (2023), « Les premières années en Frances des immigrés », L’essentiel de l’enquête longitudinale sur l’intégration des primo-arrivants.
[6] Friedman, D., Hechter, M., & Kanazawa, S. (1994). « A theory of the value of children. » Demography, 31(3), 375-401.