La maîtrise de la langue française et sa pratique au travail sont des éléments essentiels à l'intégration économiques des nouveaux migrants. Quatre ans après leur admission en France, 89 % des primo-arrivants pratiquent majoritairement le français dans leur activité professionnelle, devant l’anglais, le chinois et l’arabe. Les immigrés parlant majoritairement français sur leur lieu de travail sont aussi ceux l’utilisant le plus dans leur vie privée. Trois profils de métiers où les primo-arrivants y échangent dans une langue étrangère se distinguent : les cadres, diplômés de l’enseignement supérieur, des secteurs tels que les activités immobilières, financières ou scientifiques et techniques ; puis les employés et ouvriers du commerce et de la restauration, et enfin les femmes employées chez des particuliers employeurs à temps partiel.
La compréhension du français est une base nécessaire à l’intégration sociale, économique et culturelle des immigrés qui s’installent durablement dans le pays [1]. Cette compréhension de la langue est fortement liée à son usage au quotidien, dans la vie privée comme dans le cadre d’un emploi [2], à une progression significative nécessitant une immersion linguistique et à des interactions sociales variées.
L’enquête Elipa 2 (source) suit pendant 4 ans le parcours d’intégration des immigrés ayant obtenu un premier titre de séjour (hors motif étudiant) d’au moins un an en 2018. Ces primo-arrivants (définitions) sont soumis à un test de compréhension du français [3] et déclarent également leur pratique au quotidien de la langue française [4], en particulier sur leur lieu de travail.
En 2022, soit quatre ans après l’obtention de leur premier titre de séjour, 6 primo-arrivants sur 10 occupent un emploi et y pratiquent le français, une proportion en hausse de 14 points par rapport à 2019 (figure 1). Cette progression traduit une intégration croissante sur le marché du travail [5], accompagnée d’un recours quasi-systématique à la langue française dans l’exercice d’une nouvelle activité professionnelle. Par ailleurs, les primo-arrivants en emploi et usant du français en 2019 continuent majoritairement à le pratiquer en 2022 s’ils restent actifs occupés. Sur la même période, la part des primo-arrivants en emploi et utilisant une autre langue que le français reste stable à 8 % sur la période. Ainsi, en 2022, 89 % des primo-arrivants en emploi déclarent pratiquer le français sur leur lieu de travail, soit 3 points de plus qu’en 2019.
Fig. 1 : Pratique linguistique des primo-arrivants dans leur milieu professionnel entre 2019 et 2022
La langue étrangère la plus répandue au travail par les primo-arrivants n’y parlant pas du français est l’anglais (54 %, figure 2) bien que l’absence du français dans la pratique linguistique dans le cercle privé se traduit par l’utilisation de la langue maternelle [4]. Les autres langues étrangères les plus souvent employées au travail sont le chinois (20 %), l’arabe (11 %) et le portugais (3 %). L'anglais est le plus souvent utilisé dans le secteur de l’industrie et le tertiaire à l’exception du commerce et de la restauration où l’arabe et le chinois y sont également très parlés.
Fig. 2 : Langues étrangères les plus parlées par les primo-arrivants au travail en 2022
Les primo-arrivants parlant une langue étrangère au travail rencontrent plus de difficultés pour comprendre le français. En effet, ces derniers ont en moyenne une note de 9 sur 20 aux tests de compréhension du français d’Elipa 2 en 2022 (encadré 1), soit près de 5 points de moins que ceux parlant français au travail et 4 points de moins que les primo-arrivants inactifs ou en recherche d’emploi (figure 3). De plus, un primo-arrivant sur quatre en emploi et y parlant une langue étrangère obtient une note inférieure à 6, soit 5 et 4 points de moins que ceux en emploi qui y parlent français et les primo-arrivants sans emploi.
Le lien entre la pratique du français des primo-arrivants en milieu professionnel et leur niveau de compréhension de la langue est toutefois plus complexe. Une simple comparaison entre ceux le pratiquant et les autres, ou une mise en perspective des situations professionnelles selon le niveau de français ne suffisent pas à établir le lien et le sens de la causalité. Le profil socio-économique des primo-arrivants comprenant aisément la langue française influence autant leur propension à occuper un emploi et à y parler français que l’inverse [7].
Les primo-arrivants les plus à l’aise en français sont ceux originaires de pays francophones, diplômés en France, les étrangers arrivés mineurs en France admis au séjour pour motif divers et les moins de 30 ans. En effet, ces derniers ont obtenu en moyenne entre 15 et 16 aux tests de compréhension. Ce sont également ceux qui utilisent le plus souvent le français au travail, seuls 4 % à 7 % de ces actifs occupés y parlent une langue étrangère (figure 4). Au final, les primo-arrivants qui parlent le plus souvent le français dans leur vie professionnelle sont ceux qui le parlent aussi avec leur conjoint. Ces derniers font aussi partie de ceux le plus souvent en emploi et comprenant le plus le français. A l’inverse, les primo-arrivants qui parlent le plus souvent une langue étrangère au travail sont aussi ceux échangeant exclusivement dans une langue étrangère avec leur conjoint, ceux le moins souvent en emploi et comprenant le moins bien le français.
Fig. 3 : Distribution des notes aux tests de compréhension du français selon la pratique de la langue en milieu professionnel en 2022
Fig. 4 : Taux d'emploi, pratiques linguistiques dans le milieu professionnel et niveau de français selon le profil des primo-arrivants
Les primo-arrivants les plus souvent en emploi ne sont pas toujours ceux qui utilisent le plus fréquemment le français dans leur activité professionnelle. En effet, la maîtrise d’une langue étrangère peut ouvrir des opportunités spécifiques [8]. Les migrants admis en France pour motif économique, bénéficiant d’une autorisation de travail valant intention d’embauche, sont plus de 9 sur 10 en emploi et 21 % d’entre-deux utilisent majoritairement une langue étrangère au travail (figure 4). Cette situation concerne particulièrement aussi les primo-arrivants arrivés en France depuis peu, davantage soutenus par des réseaux issus de leur pays d’origine : ils sont 18 % à parler une langue étrangère dans leur activité professionnelle.
Par ailleurs, les primo-arrivants diplômés de l’enseignement supérieur, bien que davantage en emploi (70 %, figure 4) et plus à l’aise dans la compréhension du français (plus de 15/20 aux tests), restent les plus nombreux à utiliser une langue étrangère au travail (19 %). Leurs compétences et expériences favorisent leur insertion professionnelle, leur apprentissage du français mais leur permettent aussi d’identifier des opportunités nécessitant des aptitudes linguistiques variées. Cette tendance est marquée chez les primo-arrivants originaires d’Europe (hors UE) ou d’Amérique non francophone qui, bien que comprenant mieux le français que leurs homologues venus d’Asie, sont également un sur cinq à ne pas parler français au travail.
Dans le prolongement des constats précédents, parmi les primo-arrivants en emploi, les cadres sont à la fois ceux le plus à l'aise en français et ceux le parlant le moins au travail : ils obtiennent en moyenne une note de 16,6 aux tests de français et sont 31 % à parler une langue étrangère dans leur activité professionnelle (figure 5). De plus, un tiers des primo-arrivants non francophones au travail sont cadres. Ces derniers sont plus jeunes, davantage diplômés de l'enseignement supérieur, en France depuis peu de temps ou encore admis au séjour pour motif économique (encadré 2). Ils occupent davantage des postes dans des services, tels que les activités financières, immobilières ou scientifiques et techniques, ou dans l'industrie. Dans ce secteur d’activité, plus d'un étranger primo-arrivant sur cinq parle une langue étrangère au travail, le plus souvent l’anglais.
Fig. 5 : Pratiques linguistiques au travail et niveau de français en 2022
Le deuxième type de métiers où les primo-arrivants n’y parlent pas français s’exerce essentiellement dans le commerce, l’hébergement et la restauration. Dans ces secteurs, un primo-arrivant sur dix en emploi y pratique majoritaire une langue étrangère (figure 5). Ces métiers sont davantage occupés par des primo-arrivants sans diplôme, en France depuis 10 ans ou plus ou admis au séjour pour motif familial. Ils y occupent davantage des emplois d’employés ou ouvriers avec un contrat à durée indéterminée (encadré 2). Ces primo-arrivants sont plus souvent originaires d’Asie non-francophone et parlent davantage le chinois sur leur lieu de travail que les autres primo-arrivants.
Enfin, le troisième profil de primo-arrivants ne parlant pas français au travail regroupe ceux employés chez un particulier employeur. Dans ce secteur, un primo-arrivant sur quatre y pratique une langue étrangère (figure 5) et sont ceux avec le plus de difficultés à comprendre le français. Les femmes primo-arrivantes, de plus de 40 ans, avec des contrats courts ou encore à temps partiel y sont davantage présentes.
Les primo-arrivants enquêtés d’Elipa 2 sont interrogés trois fois, en 2019, 2020 et 2022. Les entretiens sont réalisés en face à face dans la langue du choix de l’enquêté parmi les 10 langues les plus parlées en France [6].
A chaque interrogation, il est demandé à l’enquêté s’il occupe un emploi. S’il répond positivement, la question suivante lui est soumise : « Dans quelle langue parlez-vous le plus souvent dans votre travail ? ». Si sa réponse n’est pas le Français alors il lui est demandé dans quelles autres langues. Dans cette étude, le primo-arrivant est comptabilisé comme pratiquant le français sur le lieu de travail s’il s’agit de la langue la plus utilisée.
Les enquêtés sont également soumis à deux tests de compréhension du français, un oral et un écrit, à chaque vague d’interrogation [3]. Ces tests peuvent se traduire par une note sur 20 points tenant compte du lien entre la compréhension orale et celle écrite du français [4].
Afin de caractériser les profils de primo-arrivants en emploi et y parlant une langue étrangère ainsi que les métiers qu’ils occupent, une méthode de classification a été utilisée. Cette approche comprend deux étapes : une Analyse en Composantes Multiples (ACM) et une Classification Ascendante Hiérarchique (CAH).
Les variables utilisées pour réaliser la typologie comprennent le sexe, l'âge, le motif d’admission au séjour, le niveau de diplôme, l'origine, la durée de présence en France ainsi que les caractéristiques du métier occupé : le type de contrat signé, s’il est à temps plein, sa catégorie socio-professionnelle et son secteur d’activité. Finalement, trois profils distincts de primo-arrivants et métiers se distinguent.
Primo-arrivant : dit aussi primo-détenteur, un primo-arrivant est, dans Elipa 2, une personne originaire d’un pays tiers à l’Union européenne des vingt-huit, et du Royaume-Uni, de l’Islande, de la Norvège, du Lichtenstein et de la Suisse disposant d’un premier titre de séjour d’au moins un an délivré en 2018 (hors motif étudiant).
La seconde édition de l’Enquête Longitudinale sur l’Intégration des Primo-Arrivants, Elipa 2, a pour objectifs principaux d’appréhender le parcours d’intégration en France des immigrés les quatre années qui suivent l’obtention de leur premier titre de séjour (hors motif « étudiant »). En France métropolitaine, près de 120 000 personnes ont obtenu un premier titre de séjour d’au moins un an (hors motif étudiants) en 2018, dont plus de 59 000 dans les dix départements les plus peuplés par les primo-arrivants. L’enquête Elipa 2 est représentative de ces derniers.
Les sondés de cette enquête statistique ont été interviewés en 2019, 2020 et 2022, dans la langue de leur choix parmi les dix langues les plus parlées en France. Avec plus de 6 500, 5 000 et 4 000 répondants à chacune des trois vagues d’interrogations, l’enquête forme un panel unique utile à l’évaluation des politiques publiques d’intégration des nouveaux migrants.
[1] Dustmann C., & Fabbri F., « Language proficiency and labour market performance of immigrants in the UK. », The economic journal, 113(489), 695-717, 2003.
[2] Adami H., & Leclerq V., « Les migrants face aux langues des pays d'accueil : Acquisition en milieu naturel et formation. », Nouvelle édition Presses universitaires du Septentrion, 2012.
[3] Ninnin L-M., « La compréhension du français des primo-arrivants », Les premières années en France des immigrés, Dossier Elipa 2, 2024, pp. 31-41.
[4] Raskine A., « La pratique du français des primo-arrivants dans leur vie privée », Infos-Migrations, n°111, 2024.
[5] Ettouati S., « L’insertion sur le marché du travail des primo-arrivants », Les premières années en France des immigrés, Dossier Elipa 2, 2024, pp. 53-64.
[6] Wegner B, & Bianchini B., « La seconde édition de l’enquête longitudinale sur l’intégration des primo-arrivants », Les premières années en France des immigrés, Dossier Elipa 2, 2024, pp. 11-18.
[7] Winitz H., « The Relationship Between Comprehension and Production, Comprehension Strategies in the Acquiring of a Second Language. » Palgrave Macmillan, Cham, 2020.
[8] Kaushik, V., Walsh, C. A., & Haefele, D., « Social integration of immigrants within the linguistically diverse workplace: A systematic review ». Review of Social Sciences, 2016, n°1, pp. 15-25.