En France, près de la moitié des actifs occupés travaillent au moins une fois par mois en horaires « atypiques » (soir, nuit ou week-end). En 2022, cette proportion est similaire pour les immigrés en emploi. 21 % cumulent même des horaires atypiques en nocturne et en week-end. Les profils des travailleurs atypiques sont globalement similaires, qu’ils soient natifs ou immigrés, bien que des différences existent comme pour les jeunes travailleurs ou ceux travaillant dans le secteur des activités scientifiques et techniques, services administratifs et de soutien. Parmi les immigrés, la proportion à travailler en horaires atypiques varie en fonction de l’origine ou de la raison déclarée d’arrivée en France. Ceux originaires de Turquie ou du Moyen-Orient ont une propension plus forte que la moyenne à occuper des emplois à horaires atypiques.
En 2022, plus de 25 millions de personnes résidant en France, hors Mayotte, occupent un emploi [1], dont 3 millions d’immigrés. Parmi eux près d’un sur deux (49 %) travaille au moins une heure par mois sur des horaires atypiques (fig. 1), c’est-à-dire le week-end (samedi ou dimanche), le soir après 20h, ou la nuit entre minuit et 5h du matin (définitions). Cette proportion est comparable à celle de la population active non-immigrée (51 %) [2]. Ces contraintes horaires peuvent accentuer les inégalités d'accès aux emplois stables et influer sur l’intégration économique et sociale des immigrés. En travaillant souvent aux heures où peu d’alternatives à des activités privées existent, leur mobilité professionnelle s’en trouve davantage impactée [3].
Immigrés comme non-immigrés, un actif occupé sur deux travaille sur des horaires atypiques en 2022. Toutes choses égales par ailleurs, un immigré a autant de risque de travailler sur des horaires atypiques que les non-immigrés (encadré 1). Sur ces créneaux, le samedi est le plus travaillé, avec 40 % des immigrés en emploi exerçant leur activité ce jour-là au moins un samedi dans le mois, et 29 % au moins deux samedis par mois. À l’inverse, la nuit est l’horaire atypique le moins travaillé : seulement 11 % des immigrés actifs occupés y sont mobilisés au moins une fois, et 4 % la moitié des jours travaillés ou plus. Le travail en soirée et le dimanche concerne respectivement 27 % et 21 % des immigrés. Par ailleurs, le travail sur des horaires atypiques peut se cumuler le week-end et en nocturne, c’est le cas pour deux immigrés en emploi sur cinq, soit une répartition des contraintes horaires similaire à celle des actifs occupés natifs du pays.
Fig. 1 : Part des immigrés actifs occupés travaillant sur des horaires atypiques (en %)
Des différences significatives apparaissent toutefois entre immigrés et natifs dans certains cas. La première distinction concerne leur secteur d’activité : les immigrés sont plus souvent mobilisés en horaires décalés dans les activités scientifiques et techniques, services administratifs et de soutien ainsi que dans l’industrie et la construction. Ils sont respectivement 52 %, 46 % et 30 % dans ce cas (fig.2). À caractéristiques égales, ils ont 41 %, 25 % et 17 % de risques supplémentaires de travailler à ces heures par rapport aux natifs dans ces secteurs. Par ailleurs, 47 % des immigrés occupant leur poste en contrat à durée indéterminée travaillent aussi plus souvent sur des horaires décalés, soit 2 points de plus que les natifs. Toutefois, ce ne sont pas les situations où les actifs occupés, immigrés ou non, travaillent le plus souvent en horaire atypiques (hébergement et restauration, commerce, indépendants).
La situation familiale joue aussi un rôle important. S’il y a peu d’écarts entre les célibataires et les couples avec ou sans enfants pour les natifs, on observe pour les immigrés sept points d’écart dans la proportion à travailler en horaires atypiques entre les célibataires avec enfants et les couples sans enfants (fig.3).
Concernant les formes particulières d'emploi, les immigrés en contrats courts (CDD et intérim) travaillent moins souvent en horaires atypiques que les non-immigrés (4 actifs occupés sur 10 contre 5 sur 10).
Enfin, parmi les jeunes de 15 à 24 ans, 44 % des immigrés travaillent sur des horaires atypiques, contre 55 % des natifs.
Fig. 2 : Part des immigrés actifs occupés travaillant sur des horaires atypiques selon le type d'emploi (en %)
Fig. 3 : Part des immigrés actifs occupés travaillant sur des horaires atypiques selon leurs caractéristiques sociodémographiques (en %)
La proportion des immigrés travaillant en horaire atypiques varie selon la principale raison de leur venue en France ou selon leur origine. Les migrants humanitaires, venus en France pour se protéger eux ou leur famille, occupent moins souvent des emplois avec des horaires décalés. 47 % d’entre eux sont dans ce cas, soit 2 points de moins que la moyenne (fig.4). De même, les immigrés originaires d’Europe du sud travaillent moins souvent sur des horaires décalés (43 %). À l’inverse, les immigrés ressortissants de pays européens tiers à l’Union et de pays Asiatiques sont plus nombreux à exercer leur activité en horaires atypiques.
Fig. 4 : Part des immigrés actifs occupés travaillant sur des horaires atypiques selon leur origine et leur motif d'arrivée en France (en %)
Une classification catégorise les immigrés travaillant en horaires atypiques en 5 groupes distincts (encadré 2).
Le premier groupe rassemble 30 % des immigrés en emploi avec des horaires atypiques (fig.5). Les femmes employées en contrat à durée indéterminée dans les secteurs de l’administration et de la santé y sont surreprésentées. Venues en France plus souvent pour raisons familiales, elles travaillent le week-end mais moins d’un sur deux.
26 % des immigrés en horaires atypiques sont dans le deuxième groupe. Il est principalement composé d’hommes ouvriers qualifiés, de travailleurs âgés de 25 à 49 ans ou de contrat à durée indéterminée ainsi que de personnes peu diplômées. Ils sont plus souvent originaires du Maghreb.
Le troisième groupe est caractérisé par des immigrés venus initialement en France pour étudier. Ce groupe rassemble 23 % des immigrés en emploi en horaires atypiques. Les diplômés de l’enseignement supérieur y sont surreprésentés, majoritairement cadres. Ils cumulent les horaires décalés en week-end et en nocturne travaillent pour la plupart dans les secteurs de l’administration publique, l’enseignement, la santé et l’action sociale.
Les 2 derniers groupes concernent un quart des immigrés travaillant en horaires atypiques. Un groupe caractérise plutôt des indépendants, chefs d’entreprises et des immigrés venus de Turquie ou du Moyen-Orient ayant majoritairement acquis la nationalité française. Un groupe rassemble des immigrés venus en France pour étudier, jeunes, à temps partiel, travaillant dans le commerce, l’hébergement et la restauration.
Il ressort que les profils des personnes travaillant en horaires atypiques sont globalement similaires, qu'elles soient immigrées ou non. Toutefois, des différences s’observent parmi les travailleurs immigrés, en fonction de leur pays de naissance ou de leurs motifs d'arrivée en France. Ce sont des tendances déjà observées en 2006 puisque les immigrés originaires de pays tiers en horaires atypiques présentaient un profil comparable à celui des Français dont les parents sont eux-mêmes nés en France [4].
Fig. 5 : Typologie des 5 profils d'immigrés actifs occupés travaillant sur des horaires atypiques
Pour évaluer les déterminants du travail en horaires atypiques, un modèle de régression logistique est estimé. Ce modèle analyse quels facteurs influencent la probabilité qu'un actif occupé travaille au moins une fois dans le mois sur des horaires atypiques. Il s’écrit :
Avec :
- p la probabilité que l’actif occupé travaille au moins sur un créneau atypique sur les quatre dernières semaines
- X est la matrice des variables explicatives avec les caractéristiques sociodémographiques de l’actif (sexe, être immigré ou non, leur origine, leur raison de leur venue en France, l’âge, la situation familiale et son niveau de diplôme) et celles économiques (s’il occupe un ou plusieurs emplois, sa catégorie socio-professionnelle, sa forme particulière d’emploi, son secteur d’activité, et s’il est à temps partiel ou complet).
- β le vecteur des paramètres du modèle
Le taux de correspondance entre le fait de travailler en horaire atypique déclaré par l’enquêté et celui prédit est de 63 %.
Afin de distinguer les cas où être immigré favorise le travail en horaire atypique, ce modèle est complété par des effets d’interactions entre le caractère immigré ou non de l’actif occupé et toutes ses caractéristiques sociodémographiques et économiques.
Pour caractériser les immigrés travaillant en horaires atypiques en 2022, une méthode de clustering est employée. Premièrement, une analyse des correspondances multiples (ACM) est réalisée, suivie d'une classification ascendante hiérarchique (CAH), afin de constituer des groupes des différents profils d'immigrés en horaires atypiques. Les variables retenues pour la classification sont des caractéristiques sociodémographiques de l’actif (sexe, origine, raison de la venue en France, âge, situation familiale et niveau de diplôme) et des économiques (s’il occupe un ou plusieurs emplois, catégorie socio-professionnelle, forme particulière d’emploi, son secteur d’activité, et s’il est à temps partiel ou complet). On y ajoute également la raison déclarée d’arriver en France, le pays de naissance ainsi que l’acquisition de la nationalité française.
BIT : Le Bureau international du travail (BIT) est un organisme rattaché à l’ONU et chargé des questions générales liées au travail dans le monde. Il réside à Genève. Il harmonise les concepts et définitions relatifs au travail, à l’emploi et au chômage, etc.
Horaire Atypique : Les personnes travaillent en horaires atypiques lorsqu’elles déclarent avoir travaillé le samedi, le dimanche, le soir (de 20 heures à minuit) ou la nuit (de minuit à 5 heures), au moins une fois au cours des quatre semaines précédant l’interrogation.
Actif occupé (au sens du BIT) : Une personne en emploi au sens du BIT est une personne de 15 ans ou plus ayant effectué au moins une heure de travail rémunéré au cours d’une semaine donnée (dite « de référence ») ou absente de son emploi sous certaines conditions de motif (congés annuels, maladie, maternité, etc.) et de durée. Toutes les formes d'emploi sont couvertes (salariés, à son compte, aide familial), que l'emploi soit déclaré ou non.
Immigré : Selon la définition adoptée par le Haut Conseil à l’Intégration, un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Les personnes nées Françaises à l’étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées.
L'Enquête Emploi en continu a pour objectif de suivre le marché du travail tant sur le plan structurel que conjoncturel. Elle est la seule source permettant de mesurer les concepts d'activité, de chômage et d'emploi tels que définis par le Bureau international du travail (BIT). Réalisée sur une base trimestrielle, la collecte de données se déroule tout au long de chaque trimestre, ce qui permet de suivre les évolutions conjoncturelles de l'emploi et du chômage à travers des moyennes trimestrielles.
L'enquête repose sur un échantillonnage de logements tirés au sort. Les occupants de ces logements sont interrogés pendant six trimestres consécutifs, offrant ainsi la possibilité de suivre les trajectoires professionnelles individuelles sur le moyen terme. Certaines questions spécifiques, telles que celles portant sur les horaires atypiques, ne sont posées qu'au cours de la première interrogation.
[1] DSED, « Activité, emploi et chômage des immigrés de 2014 à 2023 », Essentiel Migration n°122, Novembre 2024.
[2] Nguyen A., « Le travail en horaires atypiques en 2021 », Dares résultats, n°52, Octobre 2022.
[3] Dalexis, R. D. (2020), « Le rôle des horaires atypiques, du conflit travail-famille, de l’autorité décisionnelle et des demandes psychologiques sur la santé mentale des travailleurs au Canada. », Université de Montréal, Papyrus.
[4] Breem Y., « Sous emploi et précarité chez les immigrés », Infos Migrations, n°17, 2010.