Discours de M. Eric Besson à la Préfecture de Police de Paris, le jeudi 5 février 2009

5 février 2009

Discours de M. Eric Besson

Ministre de l’Immigration, de l’Intégration,

de l’Identité nationale et du Développement solidaire

Préfecture de Police de Paris

Jeudi 5 février 2009

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Préfet de Police,,

Mesdames et Messieurs les directeurs et chefs de service,

Mesdames, Messieurs,

C’est avec une très vive conscience de l’histoire et des traditions de cette grande maison, que je prends, pour la première fois, la parole devant vous.

C’est avec la certitude, aussi, que votre expérience et les valeurs républicaines que vous avez chevillées au corps sont les meilleurs ressorts de la fermeté et de l’humanité qui sont nécessaires à l’exercice de vos missions !

Humanité dans l’accueil des immigrants, avec toute l’attention requise à l’égard de la singularité de chaque situation personnelle ;

Fermeté dans la lutte contre l’immigration clandestine et ses filières criminelles.

Cette fermeté et cette humanité sont indissociables : elles sont le visage même de l’Etat républicain !

C’est en effet le premier droit d’un Etat que de décider qui il souhaite ou non accueillir sur son territoire ;

C’est le premier droit et le premier devoir de l’Etat que d’adapter le nombre d’immigrés à ses capacités d’accueil ;

C’est le premier droit de l’Etat que d’adresser un signal clair de rigueur aux candidats à l’immigration clandestine… et à ceux qui l’organisent !

C’est non seulement son droit mais c’est aussi son devoir, car la fermeté est la condition même de notre humanité.

Sans la maîtrise des flux migratoires, il est en effet bien clair que l’intégration et l’assimilation républicaines ne seraient plus que de vains mots.

La condition d’une intégration réussie, c’est une immigration contrôlée, légale, régulière, qui débouche sur un emploi déclaré, un logement décent, une socialisation normale.

Hors de ces conditions, nous savons tous, vous savez tous, que notre humanité, notre générosité ne seraient qu’une vaine promesse, un faux rêve, un mirage.

Nous savons tous, vous savez tous que l’immigration clandestine dégrade la situation des immigrés légaux ; que, du fait des difficultés, des frictions qu’elle engendre, des amalgames abusifs qu’elle peut favoriser, l’immigration clandestine renforce les discriminations dont sont ensuite victimes les immigrés légaux…

Il y a là un cercle vicieux que nous avons décidé de rompre ! Ce cercle nous devons même l’empêcher de s’amorcer.

C’est pourquoi ma détermination dans ce combat est totale ; et c’est parce que je sais la constance avec laquelle vous le menez chaque jour et chaque nuit que je tenais à venir saluer aujourd’hui votre action !
Je suis parfaitement conscient des efforts que vous réalisez ici pour la préservation de l’ordre et de la paix publics. Je tiens d’ailleurs à féliciter les effectifs de la brigade de répression du proxénétisme (BRP) qui ont démantelé la semaine dernière un important réseau de prostitution africaine dans le 18ème arrondissement.

Ces efforts, je vais vous demander de les maintenir sans désemparer, pour que nos objectifs soient atteints et même dépassés. Qu’il s’agisse de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, de la répression judiciaire des filières de l’immigration clandestine, de la lutte contre le travail illégal ou de l’action menée en matière de fraude documentaire [nous en avons eu un exemple concret tout à l’heure, grâce au démantèlement d’une officine de confection de faux documents auquel les services de la direction du renseignement ont procédé hier], je tiens à vous dire la détermination du Gouvernement, détermination que, je le sais, vous partagez pleinement.

Croyez-moi, je ne laisserai personne critiquer ou remettre en doute le bien fondé de vos missions ; je me trouverai toujours avec vous, et même devant vous, pour défendre votre action, car elle est au coeur de notre pacte républicain.

Ce qui dépend de vous ici, c’est que le dernier mot reste à la loi, que la souveraineté de l’Etat soit respectée et que la sécurité de nos concitoyens soit assurée.

Ce qui dépend de vous ici, c’est que le signal de notre détermination à ne pas laisser faire soit adressé en permanence aux filières clandestines, aux trafiquants de vies humaines, aux nouveaux esclavagistes du monde contemporain.

Or, je le sais, c’est la reprise sans relâche des mêmes efforts qui permet d’adresser ce signal de manière constante. Tout relâchement serait immédiatement interprété comme une incitation et ouvrirait une brèche.

Ce que nous devons faire, ce que je veux faire, avec vous, c’est donc non seulement maintenir mais augmenter l’intensité du signal.

Ce faisant, mon objectif est clair : nous devons réussir à décourager les candidats à l’immigration clandestine, ce qui signifie que nous devons démanteler les réseaux qui la rendent possible. Car on ne vient pas tout seul en France, en organisant individuellement son arrivée.

On vient ici accompagné, attiré, trompé, exploité par des réseaux mafieux qui réalisent un « business » aussi odieux que lucratif. Certains, nous le savons, « ne font que passer », car ils veulent gagner la Grande Bretagne ; et j’ai constaté la semaine dernière à Calais dans quelles conditions indignes vivent ces malheureux.

Tout cela, nous devons le décourager, le stopper. Depuis la frontière italienne jusqu’à Calais, dans nos gares, nos ports et nos aéroports, sur nos autoroutes, tous les points du parcours doivent être rendus impraticables pour les filières.

Le fait que cette immigration clandestine s’organise à destination d’un pays tiers ne saurait en effet nous faire considérer qu’elle ne nous concerne pas. Les obligations internationales de la France doivent au contraire nous amener à envisager ces phénomènes comme s’ils visaient notre pays au premier chef.

A Paris, les services placés sous l’autorité du Préfet de Police doivent donc s’investir dans la lutte contre l’immigration clandestine de transit comme s’il s’agissait d’une immigration clandestine d’implantation sur le territoire national. Les particularités de la capitale vous confèrent une responsabilité majeure dans la lutte contre les phénomènes de délinquance qui impactent le territoire national. Aussi, la définition d’un plan d’ensemble de lutte contre l’afflux de personnes en situation irrégulière dans le Calaisis, à laquelle je me suis engagé, implique pleinement la Préfecture de Police.

Dans cette lutte, votre responsabilité, c’est de maintenir votre détermination inflexible en vous rappelant chaque matin le sens de votre action, qui vous met au coeur des missions les plus essentielles de l’Etat.

Ma responsabilité, c’est de vous aider à remplir vos missions en vous donnant les moyens nécessaires.
Je m’y emploie quotidiennement, en parfaite coordination avec le Ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie. Ce qui dépend de vous, c’est que vous unissiez vos forces avec tous les services concernés par la lutte contre l’immigration clandestine. Aussi, je vous demande en particulier de renforcer votre coopération avec l’Office central de répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi des étrangers sans titre (OCRIEST) dans la lutte contre les filières organisées. Je pense naturellement à celle qui, à Paris, exploitent les clandestins, dans les différents secteurs d’activité traditionnellement touchés par ce fléau (la confection, la restauration, les services) mais aussi aux activités délictuelles qui attentent particulièrement à la dignité des victimes : je veux parler, bien sûr, du proxénétisme et de la traite des êtres humains. [Je salue au passage le beau succès de l’opération réalisée hier par l’OCRIEST, qui a abouti au démantèlement d’une importante filière dans le nord-est de la capitale] .

J’ajoute que la directive européenne relative aux sanctions contre les employeurs de ressortissants de pays tiers démunis de titre de séjour, texte porté avec persévérance par la Présidence Française de l’Union, est en cours d’adoption par le Parlement et le Conseil. Je m’attacherai à ce que sa transposition intégrale et volontariste dans notre droit interne intervienne le plus rapidement possible, ce qui renforcera notre arsenal législatif contre ces pratiques. Car employer sciemment un immigré clandestin pour profiter de la précarité de sa situation, c’est non seulement contribuer à une forme d’esclavagisme moderne, mais c’est aussi porter une atteinte grave aux fondements.

Parce que nous devons employer tous les moyens à notre disposition pour démanteler les filières et parce que nous sommes conscients de la situation souvent tragique des clandestins qui en sont les victimes, j’ai décidé de prendre aujourd’hui une circulaire pour permettre à vos services d’utiliser une mesure trop peu souvent mise en oeuvre : il s’agit de la coopération des clandestins victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme avec les autorités administratives et judiciaires. La difficulté pour démanteler ces filières, c’est en effet que leurs victimes ne disposent, par définition, d’aucun titre de séjour, et ne s’adressent jamais aux forces de police ou aux services de l’Etat pour faire valoir un quelconque droit.

Je souhaite donc que, conformément à ce qu’avait rendu possible le décret du 13 septembre 2007, nous fassions bénéficier d’un droit de séjour les clandestins victimes qui décideraient de coopérer avec l’Etat pour nous aider à identifier et neutraliser les filières qui font leur fond de commerce du trafic de la personne humaine.

Il s’agit là d’une méthode qui allie humanité et pragmatisme. Nous aurions tort de la négliger dans ce combat quotidien. Certes, il nous faut veiller aux conditions très strictes d’application d’une telle disposition. Et c’est précisément pour les encadrer et permettre à vos services d’y avoir recours, que j’ai pris cette circulaire qui a vocation à s’appliquer, non seulement à Paris mais dans tous les départements.

De quoi s’agit-il ? C’est très simple : lorsqu’un immigré clandestin est victime de proxénétisme ou fait l’objet d’une exploitation dans des conditions indignes et souhaite coopérer avec les autorités administratives et judiciaires, la possibilité d’obtenir une carte de séjour temporaire lui est ouverte.
Il appartient bien sûr à la Justice d’établir les faits invoqués, mais je tiens à attirer votre attention sur le fait que les infractions visées ne concernent pas uniquement les personnes qui sont victimes d’exploitation sexuelle : il s’agit aussi de toutes celles qui sont exploitées dans le cadre du travail forcé ou dissimulé, de l’esclavage domestique ou de la mendicité sous contrainte. Les dispositions de la loi pénale et l’intention du législateur sont, à cet égard, fort claires. Aussi, j’appelle les services de police judiciaire à une lecture large de ce dispositif, outil d’enquête qui peut se révéler précieux pour la caractérisation des infractions visées.

Lorsque la personne a été entendue par les services de police et que les faits ont été établis, elle dispose ensuite d’un délai de réflexion de trente jours, pour lui permettre de se soustraire à l’influence de ses exploiteurs et prendre sa décision de porter plainte, en toute connaissance de cause.

Enfin, une fois prise la décision de rompre définitivement avec ses exploiteurs et de coopérer avec la police judiciaire, la victime peut recevoir une carte de séjour temporaire « vie privée et vie familiale » d’une durée de six mois minimum, renouvelable jusqu’à l’achèvement définitif de la procédure judiciaire.
A terme, si une condamnation effective est prononcée, la victime peut obtenir une carte de résident de dix ans.

Je veux maintenant insister sur un point : Qu’elles se présentent d’elles-mêmes, qu’elles soient repérées par vos services ou signalées par des associations d’aide aux victimes, ces personnes doivent faire l’objet d’un accueil et d’un accompagnement particulièrement attentifs. Je vous invite donc instamment à entretenir les meilleures relations avec les associations les plus sérieuses et les plus reconnues qui sont souvent à l’initiative des démarches engagées auprès des services de police ou de gendarmerie.

Autre point très important : il est bien clair que la condition majeure pour que les victimes aient la force et le courage de porter plainte, c’est que nous leur apportions sinon des garanties, du moins des chances raisonnables de se réinsérer dans notre société. C’est pour cette raison que la circulaire leur propose non seulement un titre de séjour, mais aussi un accompagnement social renforcé.

Je souhaite donc que le partenariat que j’ai évoqué soit développé afin de traiter au mieux le volet social de ce dispositif. Sa crédibilité ne pourra en effet s’asseoir que sur la certitude donnée à la victime que sa coopération constitue un premier pas sur le chemin de la réinsertion sociale.

Il serait en effet moralement inacceptable que, pour récompense de leur coopération, les victimes retombent finalement dans la détresse, rattrapées par d’autres exploiteurs ou démunies. Sur des cas de ce genre, l’honneur de la République est engagé. J’entends donc que l’on se montre aussi efficace en aval qu’en amont avec ces personnes courageuses qui nous aideront à démanteler ces filières et organisations dont les agissements portent atteinte à la dignité de la personne.

J’ai lu et entendu certains commentaires à la suite de l’émission de radio d’hier au cours de laquelle j’ai annoncé que je signerais aujourd’hui cette circulaire. Certains émanent de personnes qui plaident pour la libre circulation, sans limite, et la délivrance de titres de séjour, sans condition, à toute personne en faisant la demande. Ce serait effectivement une solution radicale à l’immigration clandestine ! Mais ce n’est pas la voie choisie par le Président de la République et validée par le suffrage universel. La France peut-elle d’ailleurs accueillir dignement, avec un emploi, avec un logement, avec une sécurité sociale, tous les malheureux de notre planète ? Aucun des grands pays développés n’a choisi cette voie. Il s’agit donc là d’une divergence de fond, qui dépasse largement le cadre de cette circulaire.

D’autres commentateurs approuvent l’objectif de lutte contre les filières de l’immigration clandestine, mais réprouvent le moyen porté par cette circulaire, en parlant de « délation ». Certains d’entre eux n’avaient pas lu cette circulaire ni entendu les explications que je viens de donner. J’espère donc que leur point de vue a évolué.

Pour les autres, je répondrai que le cadre juridique est celui d’une directive communautaire de 2004, appliquée désormais dans une majorité d’Etats membres de l’Union européenne. Je répondrai aussi que cette circulaire laisse un délai de 30 jours aux clandestins qui s’adressent aux services de police pour être informé, bien se déterminer, et choisir ou non de coopérer.

Je répondrai, enfin et surtout, que parler de délation lorsqu’il s’agit pour une victime de faire valoir un droit a quelque chose d’extrêmement choquant. Les femmes battues qui portent plainte doivent-elles être accusée de délation ? Ces clandestins doivent-ils éternellement rester dans leurs ateliers, dans leurs caves, dans leurs arrière-cours de restaurants, sur les trottoirs de la prostitution, pour ne pas qu’on les accuse de délation ? Un seul de ces commentateurs a-t-il visité ces lieux, parlé à ces malheureux ? Un seul leur a-t-il proposé une autre solution ? Aujourd’hui, je leur dis oui, sortez de vos ateliers, quittez vos caves, abandonnez vos arrière-cours, quittez les trottoirs de la prostitution, et coopérez avec nous pour démanteler ces filières, vous serez bien accueilli, nous vous aiderons.

*

Pour la poursuite de ces objectifs comme pour le respect de ces consignes, je sais pouvoir compter sur votre sens du service public, votre engagement républicain ainsi que vos capacités d’innovation.

Voilà , Monsieur le Préfet de Police, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire aujourd’hui.

Nous nous reverrons bientôt. En attendant, c’est avec confiance que je vous exhorte à l’exercice toujours plus déterminé de vos missions, si capitales pour la sauvegarde de la paix publique et l’unité de la Nation.

Je vous remercie.