Discours de Brice Hortefeux lors de l’université d’été du MEDEF sur le thème "Quand l’Afrique s’éveillera"

28 août 2008

Monsieur le Commissaire européen, [Jacques BARROT]
Messieurs les Ministres, [Charles Diby KOFFI, ministre de l’économie et des finances de Côte d’Ivoire, Michel ROUSSIN et Xavier EMMANUELLI]
Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d’être parmi vous ce matin et remercie le MEDEF, ainsi que Michel ROUSSIN, de m’avoir convié à intervenir devant vous sur le thème du développement de l’Afrique.

Il est, selon moi, nécessaire de parler de l’Afrique pour deux raisons :

(1) D’abord, parce que je crois que l’économie française, à laquelle les patrons membres du MEDEF contribuent pour une large part, a besoin de l’Afrique. Le Président de la République l’a rappelé à l’occasion de son déplacement au Cap, en février dernier, « l’Europe et l’Afrique auront le même destin en termes de sécurité mais aussi de développement ». Nous avons un passé commun, parfois heureux, parfois douloureux, mais qui, de ce fait, associe nos intérêts respectifs.

(2) Ensuite, parce que l’intitulé et, par conséquent, l’activité de mon ministère lient immigration et développement solidaire. Je suis persuadé que cette association est incontournable pour comprendre l’économie africaine. Les diasporas, notamment celles résidant en France, jouent un rôle majeur dans le développement de leur pays d’origine.

1. Quelle est, aujourd’hui, la situation de l’Afrique ? Il s’agit d’un continent jeune, confronté à la pauvreté et qui connaît de forts mouvements migratoires.

Il suffit d’observer les chiffres pour constater que la démographie de l’Afrique est particulièrement dynamique. Il y a, aujourd’hui, 900 millions d’Africains, mais il y en aura 1,5 milliard en 2030. Songez que le taux moyen de fécondité dans l’Afrique subsaharienne est de 5,2 enfants par femme, alors qu’il est seulement de 1,5 en Europe ! Avec un taux de fécondité de 2 enfants par femme, la France apparaît même comme un champion en Europe.

Cette croissance de la population africaine signifie nécessairement un rajeunissement du continent. Les démographes estiment, ainsi, qu’en 2030, la moitié de la population de ce continent aura moins de 25 ans. Comme l’a dit le Président de la République, hier, à la Conférence des Ambassadeurs, « l’Afrique est la jeunesse du Monde ».

Cette jeunesse est confrontée à plusieurs difficultés.

La première d’entre elles, c’est évidemment la pauvreté. Aujourd’hui, un tiers de la population d’Afrique vit avec moins d’un euro par jour.

L’autre grande difficulté, c’est celle de la sécheresse et des famines qu’elle provoque. On estime aujourd’hui que près de 40% de la population africaine n’a même pas accès à l’eau potable.

Face à ces difficultés, la jeunesse n’a parfois pas d’autre choix que de partir. L’Afrique est le continent des migrations. La grande majorité d’entre elles se font entre pays africains. Prenons l’exemple du Burkina Faso : en 2005, 1,1 million de Burkinabés étaient installés à l’étranger (8,5 % de la population), et notamment dans les pays limitrophes comme la Côte d’Ivoire. A la même époque, le Burkina Faso accueillait près de 773 000 personnes (5,8 % de la population).

Il y a aussi, naturellement, des migrations en dehors du continent africain vers l’Europe. Deux immigrés sur trois qui s’installent en France sont Africains. Ces migrations, il n’est pas possible de les empêcher. Les Etats-Unis ont bien construit un mur pour arrêter les migrants de Mexico, cela n’a pas dissuadé pour autant ceux qui, souhaitant vivre le « American Dream », ont décidé de tenter leur chance coûte que coûte. C’est un fait, nos frontières ne sont jamais véritablement étanches, et les migrations d’Afrique vers l’Europe font partie des phénomènes de société.

Je ne crois pas, de toute manière, que la fermeture totale des frontières serait une bonne chose. A bien des égards, l’immigration est un phénomène positif, notamment sur le plan économique et culturel. Nous le savons, nous avons besoin des immigrés dans certains secteurs d’activité. De plus, sans eux, l’Europe ne peut pas maintenir son rang mondial en termes de démographie. Enfin, l’immigration a toujours été constitutive de notre identité : 10% de la population française peut revendiquer une origine africaine.

Néanmoins, je ne peux pas passer sous silence les drames humains que produisent ces migrations lorsqu’elles se font illégalement et en dehors de tout contrôle. Et ce, avant tout, pour une raison simple : c’est que les clandestins sont les premières victimes des filières qui les exploitent. Ces esclavagistes des temps modernes leur font miroiter des « Eldorado » en leur présentant l’Europe comme capable d’accueillir toute la misère du monde. Récemment, à Meaux, un réseau de clandestins a été arrêté : figurez-vous que les immigrés devaient payer leurs passeurs 5 000 euros pour venir en Europe, 250 euros par mois pour habiter à 21 dans 70 m² et, comble du sordide, 400 euros par mois pour pouvoir se doucher !

2. Vous l’aurez compris, si l’immigration n’est pas un problème en soi, c’est, en revanche, l’absence de politique de l’immigration qui a été le problème. La France a désormais une nouvelle politique d’immigration à l’égard de l’Afrique.

J’ai reçu du Président de la République et du Premier Ministre la mission de mettre en œuvre une politique de l’immigration qui allie fermeté et ouverture sur le monde et d’agir dans un cadre de concertation avec les pays sources. Depuis ma nomination, je me suis rendu quinze fois en Afrique pour dialoguer avec les chefs d’Etat, et je suis en contact permanent avec les ambassades africaines. Ce dialogue est salué favorablement par le peuple africain et permet de trouver des accords équilibrés car j’agis avec méthode. Nous échangeons entre Etats souverains. J’explique quelles sont nos attentes, mais j’écoute aussi quels sont leurs besoins. Trop longtemps, les échanges se faisaient à sens unique.

Une chose est certaine, la France ne fait plus son « marché » en Afrique. Nous ne voulons pas piller les élites dont ce continent a tant besoin, comme ce fut le cas pendant longtemps. Il y a, par exemple, plus de médecins béninois en France qu’au Bénin ! Cette situation est choquante. L’Afrique concentre les problèmes médicaux et souffre d’une pénurie de médecins. Les problèmes médicaux ont, comme vous le savez, un impact économique et alimentaire. Une enquête de l’OMS révèle que les récoltes ont baissé de 20% à cause du paludisme. Nous ne pouvons, par conséquent, que nous conformer aux recommandations de l’OMS, qui souhaite voir les médecins africains pratiquer dans leur pays.

Cette gestion nouvelle des migrations, qui prend autant en compte les besoins des pays sources que les nôtres, apporte une certaine sécurité aux migrants. En luttant contre l’immigration illégale, nous sommes certains de pouvoir les accueillir dans de meilleures conditions. En étant ni une passoire ni une forteresse, l’Europe assure ainsi aux immigrés un statut et une sécurité.

3. Cette politique d’immigration est cohérente avec la logique de développement des pays sources.

Lorsque les immigrés sont bien intégrés dans les pays Européens, ils n’oublient pas leur pays d’origine. Ils y conservent bien souvent des liens, des amis, de la famille. Cet attachement se traduit concrètement par l’envoi de fonds au pays, dont les montants n’ont rien de négligeable. Les Sénégalais expatriés contribuent, par exemple, à l’équilibre économique de leur pays pour 1,2 milliard d’euros, soit 19% du PIB du pays, dont 449 millions proviennent des 80 000 Sénégalais de France. Nous devons tout faire pour accroître ces transferts de fonds déjà importants. Nous les favorisons par la création de produits financiers nouveaux bonifiés par l’État.

L’aide qu’apportent les expatriés à leur pays d’origine n’est pas seulement financière. Les études sociologiques montrent qu’ils sont aussi des vecteurs de progrès technique et politique. Mon ministère s’applique, par exemple, à favoriser la circulation des connaissances. 100 000 jeunes africains étudient actuellement dans nos universités. Nos portes ne se ferment pas à la jeunesse désireuse de se former dans le cadre de la migration circulaire. Je suis persuadé que certains ont à cœur de retourner chez eux, forts de leur savoir. Je pense, par exemple, au Docteur Kessilé TCHALA-SARE, devenu ministre de la Santé du Bénin après avoir étudié en France et être retourné dans son pays.

Si nous devons encore développer la circulation des capitaux et des compétences entre l’Afrique et la France, nous pouvons aussi aider les Africains qui le souhaitent à rester chez eux. C’est une manière pour nous de leur laisser le choix et d’éviter l’émigration qui implique toujours le déracinement. Pour ce faire, le Président de la République a affirmé sa volonté de favoriser les initiatives privées en Afrique. Il a annoncé un plan, avec trois composantes :

 la création d’un fonds d’investissement de 250 millions d’euros pour développer les entreprises africaines ;
 la création d’un fonds de garantie doté de 250 millions d’euros pour permettre de faciliter l’accès des PME africaines au crédit ;
 le doublement de l’activité de l’Agence Française de développement en faveur du privé. Mon propre ministère intervient au titre du développement solidaire, car je suis persuadé qu’il faut aider au décollage de ce grand continent. C’est ainsi que mes équipes travaillent à la mise en place du projet 1000 PME au Maroc qui vise à accompagner les initiatives de créateurs d’entreprises dans ce pays en s’appuyant, notamment, sur celles des Marocains expatriés. De même, mon ministère a décidé, pas plus tard qu’hier, de soutenir l’Université des métiers de Saint-Louis au Sénégal, un projet de formation professionnelle de 500 jeunes apprentis dans 3 secteurs en plein développement au Sénégal, à savoir le Tourisme, le Bâtiment et la Mécanique.

Au-delà de notre aide, l’Afrique peut et doit aussi compter sur son propre potentiel. Le continent connaît un taux de croissance moyen de 5 à 6 % par an. Si développement et croissance économique ne vont pas toujours de pair, je veux penser que la corrélation entre les deux termes est toujours positive. Si nous encourageons les efforts de l’Afrique, nous ne pouvons, ni ne devons, les réaliser à sa place. Dans son discours du Cap, le Président reprit ce conseil adressé par Nelson MANDELA à ses concitoyens : « Si vous voulez vivre mieux, vous devez travailler dur. Nous ne pouvons le faire à votre place ; vous devez le faire vous-même. ». Le développement économique et politique de l’Afrique du Sud constitue, d’ailleurs, un exemple en faisant sien ce principe.

***

Nous devons construire avec l’Afrique une relation toujours plus en rapport avec, pour reprendre les mots de Nicolas SARKOZY, ce « que veulent les Africains et perçoivent les Français ». Soucieux de ce principe, nous ne pratiquons pas une aide d’État à État, mais une aide où l’individu a toute sa place à travers des projets concrets.

Notre souhait n’est sûrement pas d’assister l’Afrique, mais, au contraire, de l’aider à trouver en elle-même sa force, son dynamisme et un avenir prometteur pour sa jeunesse. C’est cela, l’ambition française, c’est cela, pour reprendre l’intitulé de votre Université d’été, « Voir en grand ».