Audition de Brice Hortefeux au Parlement européen devant la Commission des libertés civiles

2 décembre 2008

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Je suis très heureux et honoré de pouvoir m’exprimer devant votre Commission pour dresser, avec vous, un bilan de la présidence française de l’Union européenne, en matière d’immigration. Même si celle-ci ne s’achèvera officiellement que le 31 décembre, chacun s’accorde à dire que nous pouvons, d’ores et déjà , tirer des conclusions de notre action.

Sachez, tout d’abord, que ces six mois - ou presque - auront constitué, pour moi, une expérience unique et ce, à un double titre.

1) Une expérience unique, comme ancien député européen. Même si je n’ignorais pas le fonctionnement institutionnel de l’Union européenne grâce aux cinq années que j’ai passées ici, au Parlement européen, l’exercice était, cette fois-ci, très différent. J’ai été, en quelque sorte, durant ces mois de présidence, de l’autre côté de la barrière. Ma présence ici, aujourd’hui, pour échanger avec vous, en est l’illustration.

2) Une expérience unique, ensuite, dans la mesure où présider l’Union européenne consiste à emprunter un chemin étroit, à marcher en permanence sur une ligne de crête. Il s’agit de trouver le juste milieu entre l’ambition - nécessaire - et la modestie - recommandée - , ou encore entre la fidélité à ses convictions et le sens du compromis. Le résultat de ce parcours est que, par la vertu du dialogue et de la concertation, un équilibre respectueux de tous peut toujours être atteint.

Comme vous le savez, Nicolas SARKOZY avait fixé à la présidence française des priorités claires, dont l’immigration, et des objectifs précis. Ces objectifs, j’étais venu vous les présenter, ici même, il y a cinq mois.

J’avais commencé mon propos par la véritable clé de voûte de notre programme : le projet de Pacte européen sur l’immigration et l’asile. Je m’étais montré optimiste quant à son adoption. Force est de constater que les événements m’ont donné raison. Aujourd’hui, le Pacte constitue un succès concret, tangible et incontestable de la présidence française.

I. Le premier succès de notre présidence est, en effet, le Pacte européen sur l’immigration et l’asile, qui constitue pour l’Union européenne le socle d’une véritable politique migratoire commune.

Tout d’abord, l’idée même d’un Pacte européen sur un défi de société, comme celui de l’immigration, était une marque d’audace qui revient à Nicolas SARKOZY. En effet, c’était la première fois qu’un État membre mettait, au sommet de son agenda, un sujet aussi sensible pour nos opinions publiques et nos partenaires.

Bien sûr, la France ne partait d’une feuille blanche. Notre présidence a repris le flambeau des présidences précédentes et fait siennes leurs avancées en matière de rapprochement des politiques migratoires.

Je pense notamment au Conseil européen de Tampere en octobre 1999, au Programme de la Haye de 2004 et à la définition des principes de l’approche globale de la question migratoire lors du Conseil informel de Hampton Court, en octobre 2005. Des avancées précédant la présidence française avaient, ainsi, autorisé l’espoir.

Nous avons, pourtant, bien dû franchir une vitesse supérieure pour passer d’un espoir possible à une réalité tangible. Pour cela, il a fallu une méthode : celle du dialogue et de la concertation avec chacun.

Ainsi, à la demande du Président de la République et du Premier ministre et en accord avec la présidence slovène, j’ai effectué, au cours du premier semestre 2008, une tournée des capitales européennes pour sensibiliser, en amont de la présidence française, nos partenaires à la nécessité d’une politique commune. Une présidence ne s’improvise pas, elle se prépare, et pour préparer, il faut dialoguer.

Outre mes homologues, j’ai travaillé en étroite liaison avec la Commission européenne et ai pu alors mesurer combien nos priorités étaient complémentaires et convergentes.

J’en profite pour la remercier et notamment le vice-président Jacques BARROT, dont la compétence, l’exigence et, bien entendu, l’expérience ont été essentielles au bon déroulement de cette présidence. Le partenariat avec la Commission aura été sans faille et sans faute.

J’ai aussi, bien évidemment, dialogué avec vous, membres du Parlement européen. J’ai, bien sur, tenu compte, dans le pacte, des réflexions de M. Gérard DEPREZ, ainsi que de celles des coordinateurs de votre commission et des bureaux des principaux groupes. J’ai aussi tenu à ouvrir les travaux, le 10 septembre dernier, de la réunion conjointe organisée par votre Parlement avec des représentants des Parlements nationaux et consacrée à l’immigration.

Ce minutieux travail de préparation a porté ses fruits dès la première semaine de la présidence française puisqu’au cours du Conseil JAI informel de Cannes, les 7 et 8 juillet derniers, les 27 États membres ont adopté, à l’unanimité, non seulement le principe d’un Pacte européen sur l’immigration et l’asile mais aussi, déjà , sa structure et ses grandes lignes.

Cela s’est confirmé par la suite, puisque les chefs d’État et de gouvernement l’ont adopté formellement lors du Conseil européen des 15 et 16 octobre.

Enfin, le 22 octobre, ce fut au tour du Parlement européen d’approuver, à une très large majorité, ce Pacte européen sur l’immigration et l’asile.

Sur le fond, ce Pacte est l’illustration d’un juste milieu, puisque ce texte a évité deux écueils : le repli sur soi et l’ouverture à tout va.

En effet, le Pacte européen illustre à la fois :

  • une Europe qui s’organise, grâce à la maîtrise des flux migratoires ;
  • une Europe qui honore ses traditions, grâce à la construction d’une Europe de l’asile ;
  • une Europe qui dialogue, grâce à la concertation avec les pays source d’immigration.

II. Une fois ce Pacte adopté, nous n’avons pas perdu de temps. Au cours de notre présidence, la France aura, en effet, organisé trois conférences ministérielles déclinant la nouvelle politique migratoire européenne.

Quelques semaines après l’adoption de principe du Pacte à Cannes, la Présidence française a, tout d’abord, organisé, à Paris, les 8 et 9 septembre, une conférence sur l’asile. Pour la première fois, représentants des États, mais aussi associations et membres de la société civile ont pu échanger ensemble et poser les premières pierres d’une Europe de l’asile. Elle a ainsi lancé le chantier d’un véritable régime européen d’asile commun.

Avec l’accord unanime des Etats membres, nous avons promu la première action européenne de réinstallation au bénéfice des réfugiés iraquiens les plus vulnérables. Nous avons, d’ores et déjà , accueilli 488 d’entre eux depuis le début de la présidence, et le nombre de dossiers en cours d’instruction laisse présager que nous en accueillerons le double dans les toutes prochaines semaines.

Compte tenu de notre volonté commune de traduire rapidement dans les faits les orientations dégagées, nous sommes aussi convenus d’accélérer le calendrier annoncé pour la réalisation des travaux nécessaires à la mise en cohérence des législations, et à la création du bureau d’appui européen, qui devrait voir le jour au tout début 2009.

La présidence française a aussi choisi de traiter de sujets qui préoccupent encore plus directement nos opinions publiques. Je pense notamment au sujet de l’intégration. J’ai, en effet, pris l’initiative de réunir les 27 ministres européens en charge de l’intégration, les 3 et 4 novembre à Vichy. Son objectif n’était ni de se congratuler ni de se lamenter, mais bien de tirer, ensemble, les enseignements des échecs du passé et de tenter d’avancer avec humilité et responsabilité.

L’objectif n’était pas de mettre en place une politique unique d’intégration des immigrants en situation légale, mais de mettre en cohérence nos compétences nationales, dans le respect des particularités et traditions de chacun.

C’est ainsi que, pour la première fois [et encore une fois en présence du président Deprez], une telle conférence s’est terminée par la définition d’un agenda européen substantiel. Ce calendrier met l’accent sur l’urgente nécessité d’avancer quant à l’apprentissage de la langue et des valeurs du pays d’accueil dès le pays d’origine, l’organisation d’un parcours d’intégration fondé sur un équilibre entre les droits et les devoirs, l’intégration par l’emploi et l’égalité hommes-femmes. Nous disposons désormais, pour nous aider, d’une « boîte à outils » où chaque Etat membre pourra aller puiser des bonnes pratiques afin d’améliorer sa politique nationale d’intégration des primo-arrivants.

Enfin, la présidence française s’est attachée à la question essentielle du dialogue entre l’Europe et l’Afrique. Fidèles à l’approche globale des migrations issue de la conférence de Rabat en juillet 2006, nous avons organisé la deuxième conférence sur « la migration et le développement ». Les 80 délégations présentes ont adopté, une fois encore à l’unanimité, un programme triennal de coopération, rassemblant 106 mesures concrètes couvrant les différents volets de l’approche globale des migrations.

Ce travail ne s’arrêtera pas là puisqu’en réponse à l’appel lancé par l’Espagne, le Sénégal a marqué son accord pour organiser, à Dakar, la troisième conférence ministérielle de ce processus.

III. Parallèlement, nous avons fait progresser le processus législatif afin de doter l’Union européenne des moyens juridiques nécessaires à la mise en œuvre de sa politique.

Le 15 juillet, j’avais rappelé que, outre l’adoption du Pacte européen, l’objectif de la présidence était d’avancer de manière substantielle sur au moins trois directives : « carte bleue », « sanctions » et « titre unique ». J’ajouterai à cette liste la directive « Résidents Longue Durée ». Ces quatre directives ont, comme je l’avais souhaité, largement avancé.

(1) Permettez-moi, tout d’abord, de saluer les avancées enregistrées sur le projet de directive dite « carte bleue ». Un accord politique a été trouvé.

Il y a quelques mois, j’avais précisé que l’adoption de la directive établissant une procédure accélérée commune d’entrée et de séjour des ressortissants des pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié, plus connue sous le nom de « directive carte bleue », constituait l’un des objectifs de la présidence française. J’en avais également profité pour saluer le travail remarquable effectué pour le Parlement européen par le rapporteur Eva KLAMT sur ce dossier.

L’objectif de cette directive est, vous le savez, de rendre l’Union européenne plus attractive en associant à la délivrance de cette « carte bleue », une procédure d’entrée rapide, des facilités en matière de regroupement familial, et des vraies possibilités de mobilité dans l’Union.

Sur le plan procédural, les Etats membres ont donné leur accord politique, le 22 octobre dernier. L’avis donné par le Parlement européen le 19 novembre a été largement positif. Le Conseil l’examine, avec une grande attention, et je suis heureux de constater notre très grande convergence de vues. Je rappelle quand même que lorsque la présidence française a repris ce dossier, en juillet, on comptait près de 200 réserves.

Grâce notamment au travail effectué sous présidence française, à l’accord politique obtenu au sein du Conseil et au dialogue avec votre Commission, dont je tiens à remercier le rapporteur, la directive « carte bleue » sera formellement et définitivement adoptée dès son toilettage par les juristes-linguistes, sans doute au tout début de la présidence tchèque.

(2) S’agissant de la directive « titre unique », je voudrais, là aussi, souligner les progrès réalisés depuis juillet.

Cette directive garantit un socle commun de droits aux travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre et met en place une procédure de demande unique débouchant sur la délivrance d’un seul document valant titre de séjour et autorisation de travail.

Ce texte converge totalement avec la volonté exprimée dans le Pacte de mieux organiser l’immigration légale. Après l’achèvement des travaux sur la carte bleue, l’adoption de cette directive constituera une véritable avancée du point de vue de la simplification administrative et témoignera de la volonté de l’Union de faciliter la vie des travailleurs migrants légalement installés sur nos territoires.

Le Parlement européen a rendu son avis consultatif, le 19 novembre, et ce texte rencontre désormais un large accord sur le principe d’une procédure de demande unique. En revanche, restent encore des éléments à approfondir, au sein même du Conseil, s’agissant du principe d’un permis unique de résidence et de travail, de la liste des droits pour lesquels est prévue une égalité de traitement, des possibilités de restrictions et enfin du champ d’application de la directive.

Le travail technique se poursuit, mais d’ores et déjà , le nombre de réserves a été divisé par quatre depuis le début de la présidence française.

(3) La directive « sanctions contre les employeurs » nécessite, quant à elle, encore une poursuite des discussions au sein du Conseil.

Vous le savez, cette directive a pour objectif d’harmoniser les sanctions administratives, financières et pénales prises à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

Depuis le Conseil du 24 juillet, la présidence française a œuvré au rapprochement des positions au sein du Conseil, puis avec le Parlement. Si nous n’avons pas encore réuni les conditions d’un accord, nous avons, néanmoins, levé une grande partie des réserves techniques et identifié plus clairement les principales difficultés. Nous sommes donc dans la dernière phase de discussion, et un accord en première lecture avec le Parlement européen paraît envisageable.

Des contacts ont eu lieu avec le rapporteur de chacune des deux Commissions (Emploi et Libé) depuis le printemps dernier, et plusieurs trilogues informels ont eu lieu depuis un mois. Ces discussions se sont déroulées de façon constructive, avec une approche convergente sur l’importance de cette proposition et ses objectifs. Je sais que vous avez marqué une attention particulière aux droits des salariés, en particulier pour le paiement des arriérés, et à une meilleure assistance juridique des travailleurs clandestins, après leur reconduite dans leur pays d’origine.

La présidence s’est efforcée de dégager une approche commune au sein du Conseil. Bien entendu, cette approche commune ne signifie pas un accord de tous les Etats membres sur tous les articles : quelques uns maintiennent une opposition de principe sur les dispositions encore en suspens telles que la responsabilité en cas de sous-traitance, le niveau des inspections et les sanctions pénales.

Dans le cadre de la procédure de codécision, le Parlement européen devrait examiner le projet de directive lors d’une prochaine session plénière après le vote en commission « Libé ».

(4) La révision de la directive relative aux résidents de longue durée, consistant à étendre son champ d’application aux bénéficiaires d’une protection internationale, a été examinée à trois reprises au niveau des ministres.

Cette directive permettra de marquer une avancée au bénéfice des réfugiés et des bénéficiaires d’une protection subsidiaire. Au moment où la Commission s’apprête à présenter plusieurs propositions visant à approfondir le régime européen commun en matière d’asile, l’Union européenne enverra ainsi un signal, dans l’esprit de l’équilibre que nous sommes parvenus avec le Pacte européen.

Malgré le soin apporté par la présidence française pour satisfaire les attentes des uns et des autres et notamment prendre en compte la situation particulière et disproportionnée à laquelle sont confrontés plusieurs de nos partenaires, nous n’avons pas pu encore parvenir à un accord à 27 en raison de l’opposition persistante d’un Etat membre.

(5) Enfin, nous devrions aboutir, avant la fin de la présidence française, à un accord politique entre le Conseil et le Parlement européen sur le règlement modifiant les instructions consulaires communes sur les visas.

J’aurai, aujourd’hui même, un trilogue politique avec la Madame LUDFORD, rapporteur de votre commission sur ce dossier. Nous avons bon espoir de trouver un accord après avoir rapproché nos points de vue.

Concrètement, cela signifie que nous respecterons les délais pour la mise en œuvre du système d’information sur les visas, mais aussi pour la mise en œuvre de la biométrie.

***

Avant de conclure, permettez-moi de vous dire que la décision prise lors de mon dernier conseil « JAI » de jeudi dernier restera, pour moi, significative de ma conception de l’Europe. Avec le ministre de l’intérieur allemand, Wolfgang SCHAUBLE, nous sommes parvenus, en effet, à convaincre nos collègues d’accueillir, en Europe, jusqu’à 10.000 Irakiens environ. L’Europe se doit d’être en permanence attentive, respectueuse et ouverte. Lorsque des ressortissants irakiens souffrent et risquent leur vie, l’Europe doit être au rendez-vous. C’est aussi cela, notre raison d’être.

Mesdames et Messieurs les Députés,

Avant même le début de la présidence française, je savais que notre réussite serait jugée, non pas seulement sur notre aptitude à faire adopter des textes déjà dans les tuyaux, mais surtout sur notre capacité à donner une véritable impulsion politique à l’Europe.

C’est précisément ce que je me suis attaché à accomplir d’une part, en arrêtant ensemble les grands principes d’une politique commune, et d’autre part, en ancrant les relations de l’Europe avec les pays source d’immigration dans une logique de partenariat.

Que ce soit sur la lutte contre l’immigration clandestine, l’intégration de nos immigrés légaux, le respect de nos traditions d’asile ou l’attractivité de nos territoires, je crois, d’ores et déjà , pouvoir affirmer que la présidence française aura su, non seulement remplir sa mission, mais aussi fixer un cap.

Il s’agit là d’une bonne nouvelle et ce, à un triple titre.

Une bonne nouvelle pour nos institutions européennes et nos gouvernements nationaux, qui souhaitaient démontrer, une fois de plus, leur utilité et leur réactivité.

Une bonne nouvelle pour les pays source d’immigration et leurs ressortissants, qui méritent un échange respectueux et d’égal à égal.

Une bonne nouvelle, enfin, pour l’ensemble de nos concitoyens, qui attendent de l’Europe des actions concrètes, des succès tangibles et des retombées positives.

A ce triple titre, je crois pouvoir affirmer que la France a été au rendez-vous.

Je ne pourrai pas conclure sans vous remercier, tout naturellement, pour votre coopération sur tous les thèmes que nous avions identifiés. Je souhaite aussi, bien sur, bonne chance à la future présidence tchèque. Qu’elle sache qu’elle peut compter sur tout notre soutien pour poursuivre notre action.

Je vous remercie.