Discours de Brice Hortefeux lors de l’installation de la Commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration

7 février 2008

Monsieur le Président, [Pierre Mazeaud]
Monsieur le Ministre, [Kofi Yamgnane]
Monsieur le Président de la Commission des lois, [Jean-Jacques Hyest]
Madame et Messieurs les membres du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, [Emmanuelle Prada-Bordenave, Jean-Eric Schoettl, Michel Falcone]
Madame le Président, [Odile Pierart]
Messieurs les Professeurs, [Jean-Bernard Auby, Olivier Dord, Gérard-François Dumont, Hervé Le Bras, Robert Ponceyri],

***

I - Permettez-moi, d’abord, de vous souhaiter la bienvenue à l’Hôtel de Rothelin-Charolais.

Je me réjouis d’y accueillir une assemblée aussi prestigieuse que la vôtre. Sous la présidence éminente de Monsieur Pierre Mazeaud, qui est l’une des voix les plus écoutées de notre République, votre Commission réunit des compétences et des regards venus d’horizons différents :

 la représentation nationale, avec les présidents des commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale, MM. Jean-Jacques Hyest et Jean-Luc Warsmann ;

 les deux ordres de juridiction, avec Mmes Emmanuelle Prada-Bordenave et Odile Pierart, et MM. Michel Falcone et Jean-Eric Schoettl ;

 l’Université, avec les professeurs Jean-Bernard Auby, Olivier Dord, Gérard-François Dumont, Hervé Le Bras, Robert Ponceyri, qui apporteront leurs connaissances du droit, de la géographie, de la démographie et de la science politique ;

 le monde politique, enfin, avec M. Kofi Yamgnane, qui assuma les fonctions de secrétaire d’Etat à l’intégration sous la présidence de François Mitterrand.

Je me réjouis que chacun d’entre vous ait bien voulu accepter de siéger au sein de cette Commission - et je remercie tout particulièrement Mme Prada-Bordenave et le professeur Dord d’avoir accepté les fonctions de rapporteurs généraux.

Je laisserai naturellement le soin au Président Mazeaud de définir, avec vous, le rythme et les modalités de vos travaux.

J’ai d’ailleurs souhaité, afin de marquer la pleine indépendance de votre Commission, qu’elle ne siège Rue de Grenelle que cette semaine. J’ai donc veillé à ce qu’elle dispose de bureaux autonomes, près du Louvre. Le président Mazeaud les a visités lundi matin. Ils vous seront ouverts dès que les travaux d’aménagement seront achevés.

Mais puisque nous sommes réunis ce matin en cet hôtel, permettez-moi de mentionner deux épisodes de son histoire singulière. L’hôtel de Rothelin-Charolais abrita tour à tour le ministère de l’intérieur et le Conseil d’Etat. Le ministère de l’intérieur y séjourna pendant plus d’un demi-siècle, de 1793 à 1860, avant de rejoindre la place Beauvau. Et le Conseil d’Etat s’y abrita un temps, après 1870, avant de s’établir au Palais-Royal.

Les lieux sont donc empreints d’une tradition régalienne, avec laquelle ce nouveau ministère a renoué. Car c’est bien la naissance d’un nouveau ministère régalien que le Président de la République a souhaitée en créant le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement. Il fédère une administration jusqu’alors rattachée au ministère de l’intérieur et au ministère des affaires étrangères, auxquels s’ajoutent des services venus du ministère des affaires sociales.

Je suis responsable, en réalité, de l’ensemble du parcours d’un étranger migrant en France, depuis la décision d’émigration jusqu’à l’intégration à la communauté nationale, ou le retour vers le pays d’origine. II - Quelle est la réponse que l’Etat apporte aujourd’hui à la question migratoire ? Cette réponse, c’est la définition d’une nouvelle politique d’immigration, cohérente et équilibrée.

Permettez-moi de vous en dire quelques mots, avant d’en venir à l’essentiel, c’est-à -dire à ce que le Président de la République et le Gouvernement attendent de vos travaux.

(1) Nous pensons qu’une politique de maîtrise des flux migratoires est nécessaire, pour six raisons.

Premièrement, parce que le système français d’intégration a globalement échoué :
 j’en veux pour preuve la concentration beaucoup trop forte de la population d’origine étrangère sur seulement trois régions sur vingt-deux : 60% des étrangers habitent en Île-de-France, en Rhône-Alpes ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur, parfois dans de véritables ghettos urbains ;
 j’en veux aussi pour preuve le taux de chômage moyen des étrangers, supérieur à 20%, soit plus du double de la moyenne nationale ; dans certaines banlieues, plus de 40% des étrangers sont au chômage ;
 plus révélateur encore : pour les personnes d’origine étrangère qui ont réussi à obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur, le taux de chômage est de 24% alors qu’il n’est que de 6% pour l’ensemble des jeunes diplômés.

Notre système d’intégration n’est plus un modèle. Et pour réussir l’intégration, il faut d’abord maîtriser l’immigration.

La deuxième raison qui impose de maîtriser les flux migratoires est notre situation démographique. Je le dis devant deux experts, Gérard-François Dumont et Hervé Le Bras : la France a l’une des démographies les plus dynamiques d’Europe. Avec un taux égal à presque 2 enfants par femme, la fécondité française suffit pratiquement à assurer le renouvellement des générations. Notre situation n’est pas comparable, par exemple, à celle de l’Espagne ou de l’Italie, qui ont un taux de fécondité de 1,3 ou à celle de l’Allemagne, dont le taux de fécondité ne dépasse pas 1,4. Contrairement à d’autres pays européens, la France n’a pas besoin d’une immigration massive pour soutenir une démographie défaillante.

La troisième raison est que la capacité d’accueil de la France est, tout simplement, limitée. C’est vrai, par exemple, en matière de logement. La construction de logements s’est effondrée à la fin des années 90.

L’expérience nous a appris qu’en matière de gestion de l’immigration, tout laxisme se paie lourdement. Lorsque, en 1997, un gouvernement a décidé de régulariser 80 000 immigrés clandestins, le nombre des demandes d’asile a quadruplé. Les délais d’instruction des demandes se sont alors allongés, atteignant parfois jusqu’à trois ans. Face à cet afflux, l’administration, complètement débordée, s’est trouvée dans l’incapacité d’organiser la reconduite à la frontière des personnes déboutées. C’est la démonstration de l’échec de toute régularisation générale.

La cinquième raison qui justifie la maîtrise des flux migratoires tient au dialogue que nous avons engagé avec les pays d’émigration. Nous savons que nos intérêts convergent : il n’est pas dans notre intérêt d’accueillir toute la misère du monde ; il n’est pas dans leur intérêt de laisser se développer sans contrôle l’immigration en France. Deux immigrés sur trois sont originaires des pays d’Afrique subsaharienne et du Maghreb. Les Gouvernements de ces pays amis ont parfaitement compris le risque du pillage de leurs forces vives, qu’ils forment avec difficulté. Nous refusons, comme eux, tout « pillage des cerveaux ».

Enfin, nous voulons maîtriser ces flux migratoires puisque notre pays est, en Europe, celui qui a déjà accueilli au cours des dernières décennies le plus grand nombre d’étrangers : jusqu’à 400 000 par an dans les années 1960 et 1970.

Là encore, la France est dans une situation singulière par rapport à nos partenaires européens méditerranéens, comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal qui étaient, jusqu’à il y a peu, des terres d’émigration. Nous avons été, au contraire, une terre d’immigration massive, et nous en percevons, aujourd’hui, les conséquences sur la cohésion de notre communauté nationale.

Pour ces six différentes raisons, une politique cohérente et concertée de maîtrise des flux migratoires est aujourd’hui nécessaire, autour de trois principes fondamentaux, qui ne sont pas juridiques mais qui sont pleinement politiques :

Premier principe : la France a le droit de choisir - comme tout pays, ni plus ni moins - qui elle veut et qui elle peut accueillir sur son territoire. Elle doit le faire en tenant compte de ses capacités d’accueil. Elle doit le faire, aussi, en dialoguant de manière approfondie avec les pays d’origine.

Deuxième principe : l’étranger qui est accueilli légalement sur le territoire a, pour l’essentiel, les mêmes droits économiques et sociaux que les Français. Ces personnes ont, comme les Français, le droit de saisir leur chance, le droit de réussir un parcours d’intégration qui peut les mener jusqu’à la citoyenneté française.

Troisième principe : sauf situation particulière, tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d’origine, de manière contrainte s’il le faut, mais autant que possible de manière volontaire.

Je ne reviendrai pas, devant vous, sur les indicateurs qui démontrent que, en 2007, une rupture a d’ores et déjà été engagée afin de mettre en œuvre cette nouvelle politique d’immigration. Mes collaborateurs sont à votre disposition pour tenir votre Commission informée, si elle le souhaite, des actions qui ont été conduites pour lutter contre l’immigration irrégulière, organiser l’immigration légale, dialoguer avec les pays d’origine et faire progresser, sur le terrain, l’idée de codéveloppement.

Je voudrais, sans plus attendre, en venir à ce qui constituera, si vous le voulez bien, la « feuille de route » de vos travaux.

III - Votre Commission est investie d’une mission essentielle. Il lui revient de réfléchir au cadre juridique de deux réformes envisagées par le Gouvernement : la maîtrise quantitative de l’immigration, et la simplification du contentieux des étrangers.

Avant d’en venir à chacun de ces points, permettez-moi une remarque de méthode : la Commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration est, naturellement, entièrement libre de ses travaux et de ses propositions.

Il ne vous est pas demandé de proposer nécessairement les termes d’un projet de révision de la Constitution. Mais il ne vous est pas demandé, non plus, de vous interdire de le faire si vous le jugez nécessaire, au terme de vos délibérations.

Il vous appartient, pour chacun des deux sujets de réformes envisagées par le Gouvernement, de préciser le cadre juridique actuel avant de proposer le cadre d’une évolution souhaitable. Vous êtes invité à conduire cette réflexion jusqu’au mois de mai.

(1) Premier sujet : la maîtrise quantitative de l’immigration.

C’est la question des « quotas », des « plafonds », des « contingents », des « fourchettes » ou de toute autre formule de régulation quantitative.

Le Président de la République et le Premier ministre l’ont indiqué dans la lettre de mission qu’ils m’ont remise lors de la formation du Gouvernement : c’est pour « réaffirmer le droit légitime et absolu de la France de déterminer elle-même qui a le droit de s’installer ou non sur son territoire » que la fixation de « plafonds d’immigration » est envisagée.

Votre Commission pourra utilement, d’abord, examiner les différentes expériences conduites à l’étranger afin de mettre en œuvre des systèmes de régulation quantitative des flux migratoires, c’est-à -dire une politique de quotas ou de plafonds d’immigration. Je pense, par exemple, à l’Autriche, l’Australie, le Canada, l’Espagne, l’Italie, ou la Suisse.

Vous pourrez, ensuite, envisager le cadre juridique nécessaire à la définition de quotas d’immigration en France, en étudiant tout particulièrement une hypothèse, que je soumets à votre réflexion, autour de quatre idées :

1. il s’agirait, naturellement, de quotas d’immigration, et non de quotas d’asile : je tiens à souligner que le Gouvernement exclut, en tout état de cause, la définition d’un quota de demandeurs d’asile ou de réfugiés politiques ;

2. ces quotas d’immigration auraient, autant que possible, un caractère normatif, et non un simple caractère indicatif ;

3. il s’agirait d’abord de la définition d’un quota global, c’est-à -dire de la fixation du nombre annuel des migrants admis à entrer et séjourner en France, conformément aux besoins et aux capacités d’accueil de la Nation ; 4. ce quota global se déclinerait en différents quotas catégoriels, selon les différentes composantes de l’immigration, c’est-à -dire selon les motifs d’installation en France, avec comme objectif que l’immigration professionnelle représente 50% du total des flux d’entrées en vue d’une installation durable dans notre pays.

J’ajoute une cinquième idée, en forme de question : faut-il envisager de décliner ce quota global et ces quotas catégoriels selon les grandes régions de provenance des flux migratoires ?

Pour le dire autrement, et plus directement : faut-il aller jusqu’à proposer des quotas par continent ou par nationalité ?

La question n’est pas simple.

Je refuse, bien sûr, l’idée de quotas ethniques, qui seraient contraires à notre tradition républicaine, et qui n’auraient pas de sens.

Mais nous ne devons pas, pour autant, nous interdire de réfléchir à une déclinaison géographique des quotas s’ils permettent, en toute transparence, de définir les termes d’une immigration concertée avec les pays d’origine.

J’appelle votre attention, à cet égard, sur la logique des accords de gestion concertée des flux migratoires - que j’ai signés avec le Gabon, la République du Congo et le Bénin, et que je négocie actuellement avec d’autres pays d’origine.

Plusieurs pays nous ont fait part de leur intérêt pour une formule de quotas qu’ils pratiquent déjà , dans une certaine mesure, avec l’Espagne et l’Italie : pour les pays d’origine de l’immigration, comme pour les pays d’accueil, la logique des quotas est compréhensible, lisible, prévisible.

C’est pourquoi nous avons déjà commencé à introduire, dans les accords signés avec les pays d’origine, la logique des « contingents ». Par exemple, dans les accords signés avec le Congo comme avec le Bénin, nous avons prévu la délivrance annuelle de 150 cartes de séjour « compétences et talents ».

« Quotas », « contingents », « plafonds », « fourchettes » : il vous appartient de proposer le système de maîtrise quantitative qui vous apparaît le plus approprié. J’ai pleinement conscience de poser, d’abord, des questions : c’est l’office de votre Commission que d’y apporter des réponses, en étudiant plusieurs hypothèses au regard des principes constitutionnels ainsi que des conventions internationales auxquelles la France est partie. (2) J’en viens au second sujet de réflexion qui vous est proposé : la simplification du contentieux des étrangers.

Sans doute l’opinion publique est-elle moins sensible à cette question, plus technique. Elle est, néanmoins, aux yeux de l’autorité politique, tout aussi importante que la question des quotas d’immigration. Car elle met en jeu l’équilibre entre le respect des droits des étrangers, d’une part, et le droit de l’Etat à conduire une politique efficace d’éloignement des étrangers en situation illégale, d’autre part.

L’organisation actuelle du contentieux de l’entrée, du séjour et de l’éloignement des étrangers se caractérise, nous le savons, par une particulière complexité, puisque les deux ordres de juridiction - et parfois, en leur sein, des juridictions spécialisées - sont amenés à contrôler les différentes décisions administratives prises en ces matières.

Tout d’abord pour les étrangers eux-mêmes, mais aussi pour la bonne exécution des mesures d’éloignement, la complexité de l’organisation juridictionnelle est lourde d’inconvénients.

Elle n’est pas sans inconvénient, non plus, pour le service public de la justice lui-même ; je pense, en particulier, aux juges de première instance - tant administratifs que judiciaires -, qui ont à traiter un contentieux dont le volume ne cesse d’augmenter, dans des délais contraints.

Aussi, le Gouvernement souhaite que votre Commission, après un examen des expériences étrangères pertinentes, puisse envisager toute mesure de simplification de ce contentieux.

Vous ne vous interdirez pas de réfléchir à l’hypothèse d’une unification du contentieux et, le cas échéant, à celle de la création d’une juridiction unique.

Dans ce cadre, je crois utile que votre réflexion s’étende à l’office même du juge, en posant une question à l’énoncé quelque peu abrupt : à quoi doit servir la décision du juge ?

Ne peut-on envisager que le juge, saisi par l’étranger d’une requête contre une décision préfectorale refusant une carte de séjour, réponde de manière binaire :

 première hypothèse, le préfet a raison de refuser le séjour et l’étranger est donc tenu de quitter le territoire français, ce qui implique que l’administration a le droit de le placer et de le maintenir dans un centre de rétention administrative jusqu’à ce qu’il soit effectivement reconduit dans son pays ;

 seconde hypothèse : le préfet a tort de refuser le séjour et le juge enjoint alors à l’administration de délivrer à l’étranger une carte de séjour.

Les spécialistes du contentieux que comporte votre Commission savent qu’aujourd’hui, et pour des raisons éminentes, les choses ne sont pas si simples. Peuvent-elles et doivent-elles le devenir ?

C’est à votre Commission de définir le chemin du souhaitable et du possible.

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Je conclurai d’un mot, en vous disant, par avance, la reconnaissance du Gouvernement à l’égard de votre Commission, et la confiance qu’il met dans l’issue de vos travaux.

Je mesure que, forte des compétences qu’elle réunit, votre Commission saura faire œuvre utile, en apportant son concours à la définition de réformes essentielles pour l’avenir de notre communauté nationale.

Je tiens à en remercier le président Mazeaud et chacun d’entre vous - en vous assurant de ma disponibilité, de celle du secrétaire général du ministère et de mon cabinet pour faciliter l’accomplissement de votre mission.