Discours de Brice Hortefeux devant la Délégation de l’Union européenne à l’Assemblée Nationale

23 janvier 2008

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les députés,

Comme membres de la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale, vous avez l’éminente mission depuis 1979 d’éclairer la représentation nationale sur les enjeux européens, vous êtes sa vigie. Mieux que quiconque, vous savez donc que dans les prochains mois, l’Europe sera un sujet central et incontournable pour chacun d’entre nous. J’y vois deux raisons majeures.

D’abord, la relance de l’Europe, qui est enfin en marche. Depuis l’échec du referendum de 2005, tout le monde s’accordait sur le diagnostic - l’Union européenne est en panne -, sans s’entendre sur la solution. A la faveur de son élection à la présidence de la République, Nicolas SARKOZY a mis tout le monde d’accord. Conformément à ses promesses de campagne, il a relancé les négociations avec les autres États membres, il a obtenu un nouveau Traité européen et il a demandé au Parlement de ratifier ce texte. Nicolas SARKOZY a tenu ses engagements. Les 6 et le 7 février prochains, vous serez amenés à voter sur le projet de loi de ratification du Traité de Lisbonne. Ce traité « indispensable et urgent », selon le titre du rapport de votre Président, Monsieur Pierre LEQUILLER, ferme une période d’incertitude institutionnelle qui a duré plus de quinze ans. C’est un moment historique dans la construction de l’Union européenne !

Ensuite, il y a la présidence de l’Union que notre pays aura l’honneur et la chance d’exercer à compter du 1er juillet 2008. La présidence française interviendra à la fin d’un cycle politique. La législature du Parlement européen comme le mandat de la Commission présidée par José Manuel BARROSO arrivent tous deux à leur terme. La présidence française sera la dernière présidence tournante sous l’empire du régime actuel. En effet, le Traité modificatif signé à Lisbonne le 13 décembre dernier n’entrera en vigueur, sous réserve bien sûr de sa ratification par les vingt-sept États membres, qu’à la fin de la présidence française.

Le Président de la République a annoncé de longue date que la question des flux migratoires sera un sujet prioritaire de la Présidence française. Dans la lettre de mission qu’il m’a adressée avec le Premier ministre le 9 juillet 2007, il m’a été demandé d’œuvrer à « l’élaboration d’un pacte européen de l’immigration comportant, pour les États membres de l’Union européenne, des engagements, notamment en termes d’éloignement de leurs clandestins et d’interdiction des régularisations massives qui créent des appels d’air pour tous les pays européens ».

Dans cette perspective, j’ai multiplié les rencontres au niveau européen et j’ai pu avoir des échanges très nourris avec Franco FRATTINI, vice-président de la Commission européenne et commissaire chargé des questions d’immigration, Wolfgang SCHÄUBLE, ministre allemand de l’intérieur, Giuliano AMATO, ministre italien de l’intérieur, Alfredo RUBALCABA, ministre espagnol de l’intérieur, son collègue du travail et des affaires sociales, Jesus CALDERA, et tout dernièrement encore Maria Consuelo RUMI IBANEZ, Secrétaire d’État espagnole chargée de l’immigration et de l’émigration, Liam BYRNE, ministre britannique délégué aux frontières et à l’immigration ; Maria Bà–HMER, ministre allemande déléguée à la migration, aux réfugiés et à l’intégration ou encore Rui PEREIRA, ministre portugais de l’intérieur et Dragudin MATE, ministre slovène de l’intérieur.

Je retiens de mes entretiens que l’organisation de la gestion des flux migratoires devient chaque jour davantage une préoccupation européenne. Les cinq pays qui concentrent 80 % des flux migratoires - la France, l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne et l’Allemagne - adoptent peu à peu des mesures convergentes, et ce quelle que soit leur orientation politique. Pour autant, il n’existe pas encore à ce jour de véritable cohérence. Or les opinions publiques ont de fortes attentes en la matière : pour faire accepter l’Europe, nous devons rendre ses politiques plus lisibles.

Fixer la question de l’immigration comme une des priorités de notre présidence n’est pas un objectif facile à remplir tant nos situations nationales et nos politiques diffèrent. Néanmoins, c’est une ambition légitime à la hauteur du défi qui est posé à notre pays.

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I. Ce pacte est nécessaire car tous les États membres de l’Union européenne ne connaissent pas la même situation, ni n’ont la même perception des phénomènes migratoires.

Certains sont plus exposés à l’immigration clandestine, d’autres connaissent de véritables carences en main d’œuvre, d’autres comme nous, ont une histoire déjà ancienne d’accueil des étrangers.

Nous ne sommes pas égaux en matière de démographie. La France a la démographie la plus dynamique d’Europe. Selon le dernier recensement de l’Insee, notre taux de fécondité s’élève à presque 2 enfants par femme. Nous ne sommes pas dans la même situation que l’Espagne ou l’Italie, qui ont un taux de fécondité de 1,3 ou même l’Allemagne dont le taux de fécondité ne dépasse pas 1,4. Contrairement à d’autres pays européens, nous sommes presque en mesure d’assurer le renouvellement de notre population par la seule fécondité. D’un point de vue démographique, le constat est clair : notre pays n’a pas besoin d’une immigration massive.

Par ailleurs, l’origine des flux migratoires et les problématiques d’intégration ne sont pas les mêmes. Ainsi, en France, deux immigrés sur trois sont originaires des pays d’Afrique subsaharienne et du Maghreb. En Espagne, c’est l’immigration latino-américaine qui est prépondérante. De l’aveu même des autorités espagnoles, ces étrangers posent peu de problèmes d’intégration. S’agissant de l’Italie, le tiers des immigrés légaux proviennent de trois pays : la Roumanie, l’Albanie et le Maroc.

Alors qu’en France, le taux de chômage moyen des étrangers est supérieur à 20%, en Espagne, l’immigration est reconnue comme contribuant à la croissance du pays et à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale.

De même alors que le droit d’asile est accordé avec une grande parcimonie en Espagne, notre pays a enregistré 39 332 demandes en 2007 et accordé le bénéfice du statut de réfugiés à 7 279 personnes.

II. Au moment où notre pays définit une nouvelle politique migratoire, nous avons besoin de l’Europe.

Le temps où notre politique pouvait se concevoir dans le seul cadre de l’Hexagone est révolu. Dans un espace de libre circulation, toute décision prise par un État membre a des répercussions chez ses voisins.

Fixer l’immigration comme un des thèmes prioritaires de la Présidence française de l’Union européenne est donc une nécessité. Il est indispensable que notre continent se dote d’une politique d’immigration cohérente et maîtrisée. Mais, envisager d’élaborer une politique commune en la matière est un défi difficile à relever compte tenu des divergences d’approche et de situation que connaissent les États membres.

III. Il faut être lucide, une Europe à 27, c’est une lourde machine qui évolue progressivement mais lentement.

Elle permet souvent de ne se mettre d’accord que sur le plus petit dénominateur commun, souvent de faible valeur ajoutée pour notre pays. Pour autant, les choses avancent et la volonté politique, comme la compétence technique, peuvent conduire à des sauts qualitatifs.

Les travaux européens s’enlisent trop souvent dans des considérations juridiques et techniques : je le vois au Conseil « Justice-Affaires intérieures ». La présidence française sera, pour nous, une chance précieuse de faire progresser nos idées.

IV. C’est pourquoi, je proposerai un pacte européen sur l’immigration et l’asile qui nous permettra d’avancer sur des chantiers concrets.

L’immigration est un sujet que nous devons gérer ensemble sur la base de règles simples s’articulant autour de 5 grands principes contraignants accompagnés de quelques mesures concrètes afin de ne pas s’enfermer dans l’inertie démagogique des « bonnes intentions ».

Je propose donc d’inviter les États membres à s’engager sur un texte qui devra, sous notre présidence, tout d’abord être agréé en Conseil « Justice et Affaires Intérieures » et qui pourrait, ensuite, être endossé par les chefs d’État et de Gouvernement en Conseil européen sous la forme d’un « Pacte européen de l’immigration ».

Comme je vous le disais, je me suis déjà entretenu avec plusieurs de mes homologues et avec la Commission européenne sur ces principes. D’ores et déjà , à l’occasion des sommets franco-italien du 30 novembre 2007 et franco-espagnol du 10 janvier 2008, des déclarations communes sur l’immigration ont été signées par le Président de la République et ses homologues italien et espagnol. Elles reprennent dans leurs grandes lignes les fondamentaux de ce futur Pacte. Ces lignes pourraient être les suivantes :

1. Mieux protéger l’Europe en contrôlant ses frontières extérieures dans un esprit de solidarité.

Nous souhaitons l’avènement d’une véritable police européenne aux frontières. Cela passe par un certain nombre de progrès concrets.

Tout d’abord, l’achèvement du chantier de la biométrie dans les visas. Dans ce domaine, la France est le pays le plus avancé de l’Union avec le Royaume-Uni.

Ensuite, il convient de s’engager résolument dans la sécurisation des frontières extérieures de l’Union européenne avec le développement de l’agence FRONTEX. Pour l’instant, nous nous payons de mots avec cette institution qui fonctionne comme un outil en réponse à des crises ponctuelles mais pas comme un instrument permanent, alors que, comme me l’a dit mon collègue, Alfredo Pérez RUBALCABA, le ministre espagnol de l’Intérieur, « L’Atlantique est navigable toute l’année ».

En février prochain, la Commission devrait faire une communication sur l’avenir de FRONTEX. Nous devrons appuyer cette initiative destinée à renforcer l’agence pour en faire un outil efficace de maîtrise des frontières extérieures de l’Union et de lutte contre l’immigration clandestine.

Si cette approche est entièrement partagée par nos partenaires tant espagnols qu’italiens qui sont confrontés à des afflux massifs d’immigrés notamment par voie maritime, elle doit encore cheminer dans l’esprit d’autres États membres.

Les États membres les plus exposés doivent pouvoir compter sur une solidarité à l’échelle de l’Europe dans la lutte contre l’immigration illégale à leurs frontières. Il nous faut, en outre, renforcer la coopération avec les pays limitrophes de l’Union pour mieux contrôler nos frontières extérieures. Cela passe par un accroissement de l’aide de l’Union européenne en faveur de la formation et l’équipement de leurs forces de police chargées de la maîtrise des flux migratoires.

2. Organiser l’immigration légale en fonction des capacités d’accueil de chaque État membre dans un esprit de responsabilité.

Concrètement, là aussi, de quoi s’agit-il ?

(1) D’abord, force est de constater que les régularisations massives et collectives produisent un appel d’air important. Il faut donc s’accorder pour y renoncer à l’avenir. La régularisation devra être laissée à un examen au cas par cas, dans des conditions exceptionnelles, notamment humanitaires, répondant à des objectifs précis. Il ne peut s’agir d’un mode de gestion des flux migratoires.

(2) Il nous faut faire reconnaître l’articulation étroite entre les politiques de l’emploi et les politiques de migration et de travail : l’organisation de l’immigration économique légale est, pour la France et pour sa politique d’immigration choisie, un enjeu prioritaire.

(3) Dans ce domaine la proposition de directive du 23 octobre 2007 sur les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers pour occuper un emploi hautement qualifié est susceptible de représenter un objectif politiquement important : c’est l’idée notamment de la carte bleue européenne. Si l’unanimité, nécessaire à l’adoption du texte, peut être réunie (ce qui ne sera pas évident), cela traduirait la volonté de faire de l’Europe un espace attractif dans le cadre d’une immigration choisie et concertée. (4) Il s’agit enfin de reconnaître le rôle déterminant de l’insertion professionnelle pour réussir l’intégration. Je vais accueillir la troisième conférence ministérielle sur l’intégration les 3 et 4 novembre prochain à Paris.

Je souhaiterai que les États membres s’engagent à promouvoir l’emploi des étrangers par des politiques actives d’appui à la recherche d’emploi et de reconversion professionnelle si nécessaire. Les cours linguistiques et les bilans de compétences professionnelles devront être mis en œuvre de façon systématique, y compris avant l’entrée en Europe.

Le contrat d’intégration pour les ressortissants de pays tiers qui sont admis à séjourner durablement sur leur territoire doit être encouragé. Les États membres devraient le proposer au plan national. Ce contrat d’intégration aurait un caractère obligatoire. Il inclurait l’impératif d’apprentissage de la langue nationale, des identités nationales et des valeurs européennes, telles que le respect de l’intégrité physique d’autrui, l’égalité entre les hommes et les femmes, la tolérance, l’obligation scolaire et d’éducation des enfants.

3. Organiser l’éloignement effectif hors de l’UE des étrangers qui y séjournent irrégulièrement

(1) Il s’agit de mettre en œuvre des actions systématiques en vue d’organiser le retour (volontaire ou forcé) dans leur pays d’origine des étrangers en situation irrégulière. Il est essentiel de faire respecter sur l’ensemble de l’espace européen la règle selon laquelle un migrant en situation irrégulière a vocation soit à partir volontairement, soit à être reconduit dans son pays.

Je suis favorable à l’organisation de vols de retour conjoints entre plusieurs États membres. FRONTEX doit développer ses capacités opérationnelles en la matière afin de pouvoir coordonner effectivement les mesures de reconduites groupées.

(2) De même, il faut progresser dans la signature avec les pays d’origine d’accords de réadmission des clandestins.

(3) Les États membres devront s’engager à lutter contre les employeurs et les logeurs de clandestins et à combattre sans relâche les filières criminelles de passeurs. Pour cela, je veux faire avancer l’adoption de la proposition de directive du 16 mai 2007 prévoyant des sanctions à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier si la présidence slovène ne l’a pas fait d’ici l’été 2008. Il s’agit de démontrer une volonté de lutter contre les facteurs à l’origine de l’immigration illégale. J’inviterai les États membres à lutter avec la plus grande fermeté contre les employeurs et les logeurs de clandestins et à combattre sans relâche le trafic d’êtres humains. Je les inviterai aussi à rendre plus sévères leurs sanctions pénales et administratives, à les harmoniser progressivement, et à appliquer une politique de répression inconditionnelle du travail clandestin.

4. Bâtir une Europe de l’asile

La France, premier pays d’accueil de l’Union européenne en 2005, est passée désormais au troisième rang grâce à la pertinence de la réforme réalisée en 2003. La Commission a déposé un Livre vert en juillet 2007 et nous devrons nous coordonner étroitement avec elle pour que le plan d’action qu’elle présentera en juillet 2008 serve de base aux initiatives que nous engagerons.

Notre objectif doit être, à terme, la création d’un véritable OFPRA européen et dans l’immédiat, la structuration de la coopération opérationnelle et une convergence des pratiques entre États membres. L’asile est un point de divergence important entre nous. Il est indispensable de relancer la réflexion commune.

C’est dans cet esprit que j’accueillerai le 8 septembre prochain une Conférence ministérielle sur le régime commun d’asile.

5. Promouvoir le codéveloppement et l’aide au développement

Le codéveloppement est une nouvelle approche de l’aide publique au développement qui prend mieux en compte la dimension économique de la migration en améliorant les possibilités pour les migrants d’investir dans leurs pays d’origine.

Je rappelle qu’en 2006, les migrants de l’Union européenne ont transféré 19,2 milliards d’euros vers leur pays d’origine. Sur cette somme, 8 milliards provenaient de France, soit un montant quasiment égal à notre aide publique au développement.

Ces montants nous incitent à incorporer les enjeux migratoires au cœur des politiques de développement. Nous devons adopter une approche globale des migrations. A cet égard, il me paraît fondamental que les enjeux migratoires soient inscrits régulièrement et à bon niveau sur l’agenda des relations diplomatiques.

J’accueillerai à Paris les 20 et 21 octobre la deuxième conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement. Tout en confirmant l’acquis politique de la conférence de Rabat de juillet 2006, il s’agit de franchir une nouvelle étape en donnant, sur certains thèmes, une dimension concrète à ce partenariat et en confirmant sa vocation de laboratoire de l’approche globale des migrations.

Cette dernière fera l’objet en 2008 de sa première évaluation d’ensemble, sur la base d’une communication de la Commission prévue en juin, nous laissant ainsi le temps de préparer puis de faire adopter en fin de présidence des conclusions marquant une nouvelle étape, notamment sur les questions du partenariat avec les pays tiers, de la cohérence des politiques (entre migrations et relations extérieures notamment) et de la coopération sur le terrain entre les États membres (au niveau des ambassadeurs, des consulats, des officiers de liaison…).

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Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les députés,

La réussite de notre Présidence sera jugée, non pas seulement sur notre capacité à faire adopter des textes déjà dans les tuyaux de la mécanique communautaire, mais surtout sur notre capacité, d’une part, à faire accepter par l’ensemble de nos 26 partenaires les grands principes d’une politique commune que les États membres s’engageront formellement à respecter et, d’autre part, à ancrer les relations de l’Europe avec les pays sources d’immigration dans une logique de partenariat accompagné de mécanismes innovants et attractifs.

Nous aurons besoin de toutes les énergies, de tous les relais, et notamment ceux que vous saurez, j’en suis convaincu, susciter auprès de vos collègues élus européens.

Je me félicite d’ailleurs de votre nomination, Monsieur Thierry MARIANI, en tant que rapporteur de votre délégation pour le Pacte européen sur l’immigration et l’asile car je vous sais passionné par ce sujet, dont vous êtes un expert reconnu.