Discours de Brice Hortefeux pour l’ouverture de la conférence euro-africaine sur la migration et le développement de Paris

25 novembre 2008

Mesdames, Messieurs les ministres, chers collègues,
Monsieur le Vice-président de la Commission européenne,
Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de m’associer à mon collègue, Bernard KOUCHNER, pour vous remercier de votre présence, si nombreux, ce matin.

Plus de 80 délégations, qu’il s’agisse d’États membres de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen, de pays africains ou du monde entier en tant qu’observateurs, sont réunies aujourd’hui pour écrire une nouvelle page de notre histoire commune.

Comme président en exercice des ministres européens en charge des questions migratoires, je salue la présence des 27 pays, sans exception, de l’Union européenne. Que nous soyons membres d’origine de l’Union ou que nous l’ayons rejointe récemment, nous sommes tous, aujourd’hui, au rendez-vous du dialogue et de la concertation avec l’Afrique.

Les histoires de nos deux continents sont déjà mêlées, nos destins se sont souvent croisés.

Après des périodes de douleur, nos relations ont, aujourd’hui, atteint un nouvel âge. Le partenariat euro-africain existe, et vit même actuellement une ère nouvelle.

Nous sommes désormais des partenaires égaux en droits et devoirs. Notre responsabilité est partagée. Nous parlons entre États souverains, prêts à relever ensemble des défis communs.

I. Ainsi face au défi migratoire, je me réjouis que l’Europe et l’Afrique adoptent une approche globale, mais aussi un processus de travail et des outils communs.

A. Permettez-moi de commencer par un constat : nos deux continents doivent faire face à un formidable défi migratoire.

D’abord, quels sont les faits ?

(1) Il y a, aujourd’hui, 900 millions d’Africains ; il y en aura, en 2030, 1,5 milliard.

(2) Les démographes estiment aussi qu’en 2030, la moitié de la population africaine sera âgée de moins de 25 ans.

Continent de la jeunesse, l’Afrique est aussi celui des migrations. Par migrations, je n’entends pas seulement les mouvements de personnes entre l’Afrique et l’Europe.

(1) En effet, la grande majorité de ces déplacements de population se fait entre pays africains. Le Burkina Faso en est un exemple frappant. Selon la Banque mondiale, ce pays est au cœur d’un des 10 plus importants carrefours de migrations au monde.

(2) Et puis, naturellement, il y a aussi les migrations qui se déroulent en dehors du continent. Ainsi, deux immigrés sur trois qui s’installent en France sont Africains.

B. Convaincus que les migrations sont un phénomène durable, qui fait partie intrinsèque des relations internationales, nous avons mis en place une approche globale, un processus de travail et des outils communs.

Cette approche globale, que signifie-t-elle ? Elle est fondée sur deux principes :

(1) Les problématiques migratoires sont imbriquées les unes aux autres : il y a donc une cohérence à les traiter ensemble, qu’il s’agisse de la gestion de la migration légale, de la lutte contre l’immigration irrégulière ou encore des moyens humains et financiers pour développer les pays d’origine. C’est d’ailleurs cette conviction qui, en France, a présidé à la création du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, que j’ai l’honneur de diriger.

(2) Parallèlement, l’Europe met au cœur de sa politique migratoire le dialogue avec les pays d’origine ou de transit.

Soyons pragmatiques, c’est par la concertation et l’échange que nous pourrons, en tenant compte des besoins et des attentes de chacun, fonder une politique d’immigration commune satisfaisante pour tous. Pendant trop longtemps, nos pays ont pris des décisions unilatérales en la matière. Il était temps de changer.

Changer, aussi, pour tenir compte de l’émergence dans nos pays d’une opinion publique attentive, vigilante et même de plus en plus prompte à relayer ses attentes auprès de nous, tant elle est souvent intimement concernée par la question de l’immigration dans les pays d’accueil, et de l’émigration, dans les pays d’origine.

Je voudrais, enfin, souligner que la crise économique mondiale que nous devons affronter, rend notre dialogue et notre coopération en matière migratoire encore plus nécessaires.

Cette « approche globale des migrations » a donné naissance à un processus de travail commun rythmé par des rencontres régulières.

(1) Je pense ici, naturellement, à la conférence fondatrice de Rabat qui s’est déroulée en juillet 2006 et qui s’est spécifiquement concentrée sur la route migratoire ouest-africaine.

(2) Je pense aussi à la conférence de Tripoli qui, en novembre de la même année, a rassemblé l’ensemble du continent africain et a permis d’inscrire la coopération engagée à Rabat dans un cadre plus large.

(3) Je pense, ensuite, au sommet Afrique-UE de Lisbonne en décembre 2007 qui a élaboré un partenariat stratégique « sur les migrations, la mobilité et l’emploi ».

(4) Je pense, enfin, à la conférence de Paris qui nous réunit aujourd’hui et qui a été préparée par trois réunions d’experts : à Rabat en mars sur la migration légale, à Ouagadougou en mai sur la migration irrégulière et aussi à Dakar en juillet sur les synergies migration-développement.

Concrètement, ce processus a déjà donné naissance à plusieurs outils opérationnels.

(1) Les partenariats pour la mobilité, tout d’abord. Lancés en 2007 par la Commission européenne, ces partenariats sont destinés à mieux gérer les migrations tant pour l’Union européenne que pour le pays tiers afin notamment d’endiguer le phénomène d’immigration clandestine et faire bénéficier les pays d’origine des retombées positives de l’émigration.

(2) Ensuite, le Pacte européen sur l’immigration et l’asile. Adopté à l’unanimité le 16 octobre par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, ce texte contient, dans sa partie V, un important chapitre sur la dimension extérieure de la politique migratoire. La notion de « partenariat » au service du développement y est explicitement mentionnée, tout comme celle de « développement solidaire ». Vous le voyez : en Europe, notre politique migratoire ne se fait pas sans l’Afrique ni contre l’Afrique, mais bien avec l’Afrique.

(3) Enfin, l’approche globale se décline également au plan bilatéral avec des accords dits de gestion concertée des flux migratoires. Plusieurs pays ont de telles initiatives. Pour sa part, la France en a déjà négocié et conclu sept : avec le Gabon en juillet 2007, avec la République du Congo en octobre 2007, avec le Bénin au mois de novembre 2007, avec le Sénégal en février 2008, avec la Tunisie en avril 2008, avec l’ile Maurice en septembre 2008 et enfin, hier, avec le Cap Vert. D’autres accords sont en cours de discussion, et seront concrétisés, je l’espère, dans les prochaines semaines, voire les prochains mois.

II. Aujourd’hui, nous devons aller plus loin. C’est pourquoi, conformément à l’approche globale, nous vous proposons de faire des migrations un levier de développement.

A. Je suis convaincu que notre effort doit porter avant tout sur la circulation des compétences.

(1) Nous le savons tous, l’immigration zéro n’est ni possible ni souhaitable. En effet, l’immigration, si elle est maîtrisée, représente une source d’enrichissement culturel et social par les échanges humains et économiques qu’elle entraîne.

(2) Ce sont, en particulier, les migrations professionnelles et étudiantes qui, contribuant à la circulation des compétences, permettent, non seulement un meilleur fonctionnement des marchés du travail en Europe, mais participent également au développement des pays d’origine.

(3) Enfin, fidèle à sa tradition humaniste, l’Europe refuse le gaspillage des compétences et, surtout, le pillage des cerveaux. Avec, par exemple, la directive dite « carte bleue », nous voulons permettre à celles et ceux qui ont un projet de développement pour leurs pays, de pouvoir venir en Europe - grâce notamment à une procédure d’entrée rapide et des facilités en matière de regroupement familial - afin d’y acquérir une expérience, qu’ils partageront avec leurs compatriotes à leur retour.

B. Faire de l’immigration une chance pour le développement, cela passe également par la lutte contre l’immigration clandestine.

(1) Tout d’abord, il me parait essentiel de rappeler que les principales victimes de l’immigration irrégulière sont les clandestins eux-mêmes qui, rejoignant illégalement ce qu’ils pensent être, à tort bien sûr, un Eldorado, s’exposent en fait à la précarité, aux marchands de sommeil sans vergogne et aux employeurs sans scrupule.

(2) Dans le respect des principes du droit international et de la dignité humaine, il est nécessaire de contrôler les frontières, de réprimer la traite des êtres humains ou encore d’accompagner le retour, si possible volontaire, des migrants en situation irrégulière dans leur pays d’origine. En effet, une migration mal maîtrisée est porteuse de difficultés pour la cohésion sociale de chacune de nos communautés nationales.

C. Enfin, faire de l’immigration une dimension du développement, cela passe par la recherche de synergies.

(1) Un exemple de synergie possible, c’est le renforcement des liens entre diasporas, pays d’origine et pays de destination. Il s’agit tout particulièrement de mettre à profit aussi bien l’expérience, le sens de l’initiative, que les ressources financières des diasporas afin de promouvoir un investissement productif. En cela, les diasporas sont à la fois des facteurs de changement et des acteurs du développement.

(2) Autre exemple d’articulation possible entre migration et développement : le soutien financier ou technique à des projets ayant une pertinence particulière en termes migratoires, comme l’appui au développement de certains secteurs tels que la santé, la formation professionnelle et technique, la réinsertion sociale ou le développement d’activités créatrices d’emplois dans des régions défavorisées comme la pêche côtière artisanale.

(3) Afin de prendre toute sa part, à la mobilisation des compétences et des ressources des migrants, au bénéfice du développement en Afrique, j’aimerais, d’ores et déjà , vous indiquer que la France a décidé de promouvoir la création d’un fonds fiduciaire multi-bailleurs en partenariat avec cette grande institution multilatérale qu’est la Banque africaine de développement.

La France compte doter ce fonds à hauteur de 9 millions d’euros et s’est déjà engagée d’une manière ferme à l’abonder de 6 millions.

Le fonctionnement précis du fonds est en cours de définition, mais il est déjà acquis qu’il privilégiera 4 objectifs :

  • la réduction des coûts des transferts de fonds effectués par les migrants, grâce à une meilleure information sur les offres existantes ;
  • la valorisation de l’épargne des migrants en soutenant le développement de services financiers adaptés à leurs préoccupations et à celles de leurs proches ;
  • la promotion de l’investissement productif par la mise en place d’instruments financiers adaptés ;
  • le développement local des régions d’origine en soutenant les initiatives des migrants et des diasporas.

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Mesdames et Messieurs,

Selon un proverbe africain : « les montagnes ne se rencontrent pas mais les hommes, si ». Cette vérité nous rappelle que le développement, la mondialisation et les migrations sont intimement liés. Les défis qui se posent dans ces trois domaines concernent aussi bien les pays du Nord que ceux du Sud.

Aujourd’hui, dans le cadre de cette deuxième conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement, je me réjouis que nous renforcions notre partenariat étroit, suivant une approche à la fois globale, équilibrée et opérationnelle.

Dans la perspective de l’adoption d’un Programme de coopération pour les trois ans à venir, qui doit être notre objectif aujourd’hui, je nous laisse maintenant le soin de poursuivre nos travaux pour cette matinée que je souhaite fructueuse.