La lettre du ministre aux présidents des associations qui appellent à manifester aujourd’hui (France terre d’Asile, Forum réfugiés, Cimade, SOS racisme, Croix Rouge, Anafe, Gisti, MRAP, LDH, LICRA, RESF, Emmaüs France, Secours Catholique, FEP, COMEDE, UNIOPSS, FASTI.)

7 avril 2009

Paris, le 7 avril 2009

Monsieur le Président,

Votre association a signé, avec d’autres associations, un communiqué de presse en date du 25 mars 2009, intitulé « Si la solidarité devient un délit, nous demandons à être poursuivis pour ce délit ! », et appelé à des manifestations le 8 avril 2009 sur ce thème.

Ce communiqué est constitué d’une suite d’affirmations infondées, qu’il m’est impossible de laisser sans réponse.

Même si ce n’est pas le plus grave, ce communiqué commence par une lecture erronée de la Loi de finances pour 2009. L’annexe « immigration, asile et intégration », pages 34 et 35, prévoit, à titre d’indicateurs, d’une part, un nombre de mesures de reconduites effectives à la frontière qui est une prévision de 30.000 en 2009 et une référence de 30.000 pour 2011, et d’autre part un nombre d’interpellations d’aidants qui est une prévision de 5.000 en 2009 et une référence de 5.500 pour 2011. Comme vous le savez, les objectifs fixés par le Président de la République pour 2009 sont de 27.000 reconduites à la frontière et de 5.000 interpellations d’aidants, c’est-à-dire de personnes participant activement aux filières d’immigration clandestine.

Vous indiquez ensuite que selon vous « aujourd’hui, en France, il est devenu criminel d’accueillir, d’accompagner, ou seulement d’aider une personne en situation irrégulière. »

Cette affirmation est mensongère. L’article L.622-1 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile (CESEDA) prévoit que toute personne qui facilite ou tente de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France commet non pas un crime mais un délit, et s’expose donc à un risque de poursuites, à l’exception, comme le précise l’article L.622-4, des personnes qui ont aidé un membre de leur famille, ou des personnes qui ont aidé quelqu’un en situation de détresse.

Toute personne, particulier, bénévole, association, qui s’est limitée à accueillir, accompagner, héberger des clandestins en situation de détresse, n’est donc pas concernée par ce délit. Et j’observe qu’en 65 années d’application de cette loi, personne en France n’a jamais été condamné pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière.

L’Etat lui-même est le premier à accueillir dans les centres d’hébergement d’urgence les étrangers en détresse, quelle que soit leur situation administrative. Il apporte, avec les collectivités locales, un important soutien technique et financier, plus de 20 millions d’euros par an, aux associations venant en aide aux immigrés en situation irrégulière, dont le rôle humanitaire est indispensable.

Les 4 personnes qui ont été poursuivies ou condamnées en un demi-siècle au titre de l’article L.622-1 du CESEDA sont allées beaucoup plus loin que l’action humanitaire, en participant au travail des passeurs en toute connaissance de cause.

Vous faites ensuite référence à l’audition d’une bénévole de l’association Terre d’Errance, par les services de police, le 18 février 2009, ainsi qu’à l’interpellation, le 16 février 2009 d’un étranger en situation irrégulière qui était hébergé par la communauté Emmaüs de Marseille Pointe Rouge, et à l’opération de contrôle menée le 17 février 2009 dans les locaux de cette communauté.

Vous omettez de signaler que ces opérations ont été ordonnées non par mon administration mais par la Justice. Et dans les deux cas, sans entrer dans le détail des procédures judiciaires toujours en cours, il est peu vraisemblable que les faits visés se limitent à ceux que vous décrivez.

Vous vous dites ensuite porteur d’une « liste déjà longue de militants associatifs ou de citoyens ordinaires poursuivis pour avoir manifesté leur solidarité ou agi avec humanité à l’égard de migrants privés du droit au séjour ». Cette « longue liste » m’a été promise à de nombreuses reprises depuis mon entrée en fonctions. Je suis tout-à-fait disposé, si vous voulez bien me la transmettre, à l’examiner avec vous de manière transparente et contradictoire.

Vous posez enfin un certain nombre de questions « Votre médecin sera-t-il interpellé pour avoir soigné un sans-papier malade, ou votre facteur pour lui avoir distribué son courrier ? L’instituteur de vos enfants sera-t-il inquiété pour avoir appris à lire à un enfant dont les parents sont en situation irrégulière ? » Là encore, et vous le savez très bien, ces affirmations sont totalement caricaturales et dénuées de tout fondement. Aucun médecin, aucun facteur, aucun instituteur n’a jamais été et ne sera jamais mis en cause à ce titre.

Vous concluez votre communiqué en demandant à être poursuivi pour ce prétendu « délit de solidarité ». Je suis au regret de vous indiquer que de telles poursuites ne sont pas possibles, parce que ce « délit de solidarité » n’existe pas.

Les cinq principales associations nationales actives auprès des étrangers en situation irrégulière l’ont reconnu elles-mêmes, en publiant il y a trois semaines un guide « Que dois-je faire ? », à l’usage de leurs bénévoles et salariés. Ce guide, que je me suis procuré, et dont vous vous voudrez bien trouver copie ci-jointe, précise parfaitement, en particulier, que « les permanences d’associations peuvent accueillir qui elles souhaitent », que pour les centres d’hébergement d’urgence et lieux assimilés, « la situation de régularité administrative d’une personne n’est pas un critère à prendre en compte », et que « les associations agissant pour des raisons humanitaires ne peuvent être poursuivies ».

Votre communiqué et cet appel à manifester seraient insignifiants, s’ils ne venaient contrecarrer le remarquable effort de pédagogie entrepris avec ce guide, et entretenir de nouveau la confusion entre ce qui relève de l’action humanitaire, parfaitement légitime et utile auprès d’étrangers en situation de détresse, et ce qui participe d’une collaboration active, par passion, par idéologie, ou par imprudence, à des filières exploitant de manière indigne la misère humaine.

Permettez-moi de vous dire enfin que je regrette profondément que vous prêtiez le nom de votre association, et les valeurs humanistes dont elle se veut le symbole, à une campagne de désinformation qui fait finalement le jeu de ces filières.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Eric BESSON