Colloque « Migrations et intégration : les nouveaux défis de la mondialisation »

14 septembre 2009

Le colloque qui s’est tenu le 14 septembre sous l’égide d’Eric BESSON, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, a permis aux intervenants de haut niveau de débattre sur des questions clés, notamment :

i) Le besoin d’une gestion politique des migrations au-delà des fluctuations conjoncturelles. L’horizon ne peut être celui de la crise ;

ii) La nécessité de conduire cette politique en étroite collaboration : pour l’Europe au niveau de l’Union naturellement ; mais aussi en association avec les pays d’origine.

iii) l’intégration, comme corollaire à une politique migratoire ouverte.

La journée s’est ouverte sur un constat partagé : les migrations internationales sont une réalité pour tous les pays.

Si la crise économique produit ses effets, les enjeux démographiques structurels demeurent : Tobias BILLSTROM ou Yolande JAMES ont évoqué le rétrécissement de la population active. Certes, la France bénéficie d’un indice de fécondité qui repousse les tensions démographiques mais l’ensemble des pays occidentaux sera touché peu ou prou par le vieillissement.

S’agissant des migrations, plusieurs faits caractéristiques ont été soulignés :

■ la réalité migratoire est la même pour tous, y compris pour les pays du Sud. Jean-Pierre GARSON a cité un chiffre saisissant : 40% des migrants sont dans les pays du Sud ; 80% des réfugiés sont dans les pays en développement.

■ Rolando GARCIA et Jean-Pierre GARSON ont évoqué également la féminisation des flux migratoires.

■ citant des éléments prospectifs publiés par Jacques ATTALI, Rolando GARCIA ALONSO a évoqué 1 milliards de migrants d’ici 25 ans, soit 5 fois plus qu’aujourd’hui.

Enfin, les migrations doivent être mises en regard avec la mondialisation qui ne se cantonne pas à la sphère financière ou des biens produits. Migrer, circuler sont des aspirations légitimes dans un monde où les frontières naturelles ne sont plus un frein. En effet, Rolando GARCIA décrit le migrant comme un individu « preneur de risque », qui maximise son utilité. Cela correspond à un individu éduqué, ce qui est de plus en plus le cas selon le tableau dressé par Jean-Pierre GARSON. Ce qui est certain, c’est que les plus pauvres des pauvres ne sont pas les migrants. Car il faut des ressources : pécuniaires probablement mais aussi intellectuelles, une formation pour s’intégrer.

Poursuivant sur l’aspiration à la mobilité, Hatem BEN SALEM estime que la migration est un droit universel et inaliénable ; c’est le cours de l’histoire, a-t-il déclaré. Et c’est bien sûr un défi pour des Etats qui existent par l’exercice de leur souveraineté, c’est-à-dire notamment la maîtrise des personnes présentes sur leur territoire.

Les défis pour les politiques de régulation sont nombreux.

José BRITO souligne le besoin d’un partenariat entre le pays d’origine et le pays d’accueil.
Dans cette perspective, la France, notamment avec le Cap-Vert, a signé des accords de gestion concertée.
Ce partenariat constitue le socle d’une régulation des flux. Celle-ci se double d’une action de concert pour lutter contre l’immigration illégale, dont la sécurisation des papiers constitue un des moyens.

Nebahat ALBAYRAK a souligné que le projet migratoire, le parcours d’immigration commencent dès le pays d’origine. _ Ainsi chaque partie est-elle gagnante à une intégration réussie qui passe par la connaissance de la langue et du pays d’accueil. Il faut se préparer d’autant plus, selon ses propos, que les cultures entre pays d’accueil et d’origine sont éloignées. La France partage cette approche contractuelle avec le migrant, à l’image de la mise en place du Contrat d’accueil et d’intégration.

Dans la gouvernance des flux migratoires, la Suède a choisi une nouvelle politique de l’immigration en décembre 2008. Tobias BILLSTROM explique que le marché du travail assure la concordance entre la demande de travail par les entreprises et l’offre par les migrants. C’est un projet ambitieux qui implique un consensus fort sur l’immigration ainsi que pour éviter tout dumping. C’est aussi un système ouvert où la migration circulaire doit être enrichissante pour tous : le migrant, le pays d’accueil et le pays d’origine. Pour autant, des questions restent ouvertes : comment adapter le système de protection sociale dans un tel modèle d’allers-retours ?

■ Faut-il alors une Agence de l’emploi euro-méditerranéenne qui participerait à ces flux circulaires ?
Les débats ont été nourris entre ceux qui sont réticents au principe même d’une agence se substituant au marché et ceux favorables à cette idée soulevée par Hatem ben SALLEM. Ce qui est sûr, le ministre tunisien l’a rappelé, c’est que la migration repose sur un partenariat entre les parties prenantes. La Tunisie et la France l’ont compris et ont signé un accord de gestion concertée de la main d’œuvre à cet égard. L’esprit qui préside à cet accord est, bien entendu, la dignité de chacun : des Etats naturellement, mais aussi des individus, donc des migrants. Il faut formaliser cette dignité qui doit s’établir dans le consensus. C’est pourquoi le président tunisien a proposé la signature d’une charte des droits et devoirs des migrants. Elle serait le support utile au projet migratoire et à l’intégration. Car elle rappellera aussi le devoir de respecter le pays d’accueil comme le besoin d’accueillir dans la dignité. Ce souci rejoint les propos de Rolando GARCIA ALONSO qui soulignait très concrètement le besoin d’accès à la justice de la part des migrants.

Au total, un consensus s’élabore sur l’impossibilité de gérer la migration en bloc, uniformément : de plus en plus, il faut différencier la politique entre la gestion des qualifiés, des moins qualifiés, des étudiants, des professionnels, la migration familiale, etc.

Autre point de consensus, l’intégration est le défi associé à la migration.

Pour autant, rapprocher toujours ces termes – immigration et intégration - est embarrassant pour Fadela AMARA : faut-il toujours parler de l’intégration comme si l’immigration était d’abord source de problèmes et non de richesse nouvelle pour le pays ?

François HERAN a rappelé que l’intégration est un processus, dont la naturalisation est un couronnement. Sur les critères de l’intégration, il fait part à la fois de leur complexité et de leur multiplicité : acquisition de la langue, d’une propriété, mariages mixtes, etc. Sur ce sujet, le directeur de l’INED met en garde aussi sur la vision d’une société uniforme : il y a des pratiques minoritaires qui ne mettent pas en cause la cohésion nationale.

L’intégration passe par l’accès aux politiques générales mises en œuvre pour soutenir l’emploi et la formation, le renforcement des politiques de lutte contre les discriminations : les mêmes droits pour les nationaux et les immigrés, a évoqué Tobias BILLSTROM. Nous devons être fermes contre les discriminations. C’est l’autre nom de l’égalité dans le modèle républicain défendu avec force par Fadela AMARA.

Peut-on pourtant parler de modèle ? On parle d’hommes et de femmes ainsi que l’a rappelé Yolande JAMES. Devant la singularité de chaque parcours et chaque pays, il ne peut y avoir de modèle unique, de moule unique ! L’immigration repose sur un effort partagé, fondé sur un partenariat entre le migrant et la société d’accueil. C’est là que la migration crée de la « valeur ajoutée » selon les termes de Yolande JAMES. D’une certaine manière, c’est aussi un partenariat avec la nation d’origine : José BRITO a souligné que les immigrés cap-verdiens sont aussi les représentants du pays à l’extérieur. Leur intégration bénéficie au pays : 15% du PIB est lié aux transferts financiers vers le Cap-Vert. Intégration dans le pays d’accueil et lien avec le pays d’origine.

Finalement, Dominique SCHNAPPER souligne que l’opposition canonique entre les modèles républicains et communautaristes sont probablement dépassés dans les faits. Le projet d’égalité est bien au cœur des politiques de toute les sociétés démocratiques. Rappelant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Dominique SCHNAPPER souligne que la discrimination positive donne plus de moyens mais ne modifie pas par avance les résultats.

Les expériences que nous avons pu échanger en matière d’intégration ont été très riches d’enseignements. Elles nous invitent à mettre l’accent sur :

 la maîtrise de la langue du pays d’accueil, mais aussi des valeurs du pays (démocratie, laïcité, respect de l’individu), dans un parcours de migration qui commence dès le pays d’origine ;

 les mesures visant à mieux utiliser les compétences des immigrés : Trevor PHILLIPS a évoqué l’évolution de la législation anglaise en matière d’immigration, se fonder sur les qualifications et non plus sur l’origine,

 la promotion de la diversité et la lutte contre les discriminations.

Pour conclure, l’enjeu de l’intégration est bien d’abord la construction de la nation. Et celle-ci a une réalité au-delà du territoire. C’est d’abord une question affective comme l’a souligné Fadela AMARA. Trevor PHILLIPS a rendu hommage à notre modèle de la nation républicaine.