Allocution de M. Eric Besson devant le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, à l’occasion de la Journée Mondiale des Réfugiés, le 18 juin 2009

18 juin 2009

Allocution de M. Éric Besson
Ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale
et du développement solidaire

Journée Mondiale des Réfugiés

Ouverture de la conférence du HCR
« Quelle place pour les réfugiés en Europe ? »

Institut Goethe

Jeudi 18 juin 2009

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le représentant du Haut Commissaire,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais d’abord remercier M. Francisco GALINDO VELEZ, représentant du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés, pour m’avoir convié, à l’occasion de cette journée mondiale du réfugié à ouvrir la conférence qu’il organise sur la place des réfugiés en Europe. La date du 18 juin, choisie pour l’organisation de cette conférence, est une date importante et symbolique en France : on pense naturellement à l’appel lancé le 18 juin 1940, depuis Londres, par un célèbre exilé français, le général de Gaulle.

Je voudrais également remercier le directeur de l’Institut Goethe pour avoir bien voulu nous accueillir dans cette prestigieuse institution.

L’invitation que m’a adressée le HCR d’ouvrir les travaux de cette conférence porte témoignage des relations étroites et confiantes que la France entretient, depuis de très nombreuses années, avec le Haut Commissariat.

Ces relations ne sont pas seulement personnelles, même si l’excellence des relations est le gage d’une bonne compréhension et d’une coopération efficace ; elles ne sont pas seulement financières, même si la France compte, avec une contribution annuelle de plus de 20 millions de dollars, parmi les principaux contributeurs de l’organisation ; elles sont également institutionnelles : le HCR est représenté au conseil d’administration de l’Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et le Haut Commissariat dispose du pouvoir – remarquable au regard du caractère national de tout système juridictionnel – de désigner des juges assesseurs (ils sont 40) participant, avec voie délibérative, aux formations de jugement de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

Par-delà ces liens traditionnels qui unissent le HCR à la France, je veux redire ici l’importance que les autorités françaises attachent au rôle et aux missions du Haut Commissariat pour les Réfugiés.

Le nombre de réfugiés dans le monde, rappelé à l’instant par le Haut Commissaire pour les Réfugiés, M. António Guterres, ces 10 millions d’hommes, de femmes et d’enfants chassés de leur pays par la guerre ou les persécutions, exilés et confinés pour la plupart dans des camps, amènent à nous interroger sur les actions que nous mettons en oeuvre – nous, la France, nous les États européens – pour éviter ces situations et atténuer ces souffrances.

Quelle place pour les réfugiés en Europe ? La forme interrogative adoptée pour le titre de la conférence dit assez, par-delà les actions diplomatiques et l’aide humanitaire, les hésitations et les interrogations que soulève dans les pays européens, épargnés par les conflits, la manière de traiter cette question.

Il est vrai que la question n’est pas simple et que les réponses ne sont pas toujours évidentes. On peut, en cédant à la facilité des bons sentiments, avancer que la solution réside dans l’accueil systématique, par les pays européens, de l’ensemble des réfugiés disséminés sur notre planète. Dans cet esprit, la richesse des pays occidentaux serait suffisante pour y pourvoir. Mais la différence des cultures et des modes de vie, les équilibres fragiles des sociétés d’accueil comme des sociétés d’origine invitent à plus de prudence.

Cette prudence, toutefois, ne peut servir d’excuses à l’inaction et à l’égoïsme. Nous devons prendre notre part, toute notre part, en garantissant l’accès au système européen d’asile et en favorisant l’accueil des réfugiés. Le message sur lequel je voudrais insister aujourd’hui tient en un mot : solidarité.

Cette solidarité présente une double dimension : c’est la solidarité internationale, par le biais classique des opérations de réinstallation ; c’est également, pour tenir compte de la construction de l’Europe de l’asile, la solidarité européenne, par le biais plus novateur de la « redistribution », de la « relocation » ou encore du « transfert intracommunautaire » des réfugiés – l’incertitude de la terminologie souligne bien la nouveauté du concept et, plus encore, de la pratique.

En matière de réinstallation – il faut le dire clairement –, la France ne pouvait que progresser… et la France a progressé. Les réticences en ce domaine étaient réelles ; elles résultaient moins, d’ailleurs, d’une opposition de principe que d’une situation très tendue en matière de demande d’asile.

La signature, le 4 février 2008, d’un accord-cadre de coopération entre le Gouvernement et le HCR a constitué une véritable avancée. Cet accord prévoit l’examen annuel par la France d’une centaine de demandes de réinstallation – soit entre 300 et 400 personnes environ (345 exactement pour l’année 2008) – se trouvant dans des États tiers et auxquels une intégration durable est proposée en France.

Une attention particulière est portée, dans le cadre de ce dispositif, aux personnes qui se trouvent dans une situation vulnérable : mineurs non accompagnés, femmes isolées, personnes nécessitant une prise en charge médicale ou encore étrangers relevant des programmes de protection régionaux de la Commission européenne. La situation dramatique des Palestiniens vivant dans les camps de réfugiés aux frontières de l’Irak a conduit le Gouvernement français à demander au HCR de lui présenter, en particulier, des dossiers concernant ces personnes.

A côté de ce dispositif pérenne, la France a décidé de mettre en oeuvre une opération exceptionnelle d’accueil d’Irakiens issues de minorités religieuses persécutées – pour l’essentiel, des Irakiens de confession chaldéenne mais également, des Irakiens de confession musulmane, qu’ils soient chiites ou sunnites. Cette opération, décidée par le Président de la République au mois de novembre 2007, a été conduite avec l’aide de l’Association d’entraide aux minorités d’Orient (AEMO) et le soutien du HCR ; elle a concerné tant les Irakiens menacés dans leur pays que les Irakiens exilés dans les États voisins.

L’objectif premier consistant à accueillir 500 personnes a été porté, en 2008, au regard de l’aggravation de la situation, notamment dans la zone de Mossoul, à 1 200 personnes. À ce jour, ce sont plus de 730 Irakiens – hommes, femmes, enfants – qui sont arrivés dans le cadre de l’opération de réinstallation engagée par les autorités françaises : 495 par l’intermédiaire de l’AEMO et 244 par le biais du HCR. 136 autres Irakiens, pour lesquels la décision de réinstallation a été prise, doivent arriver prochainement et 329 dossiers sont encore à l’étude.

Bien que notre pays soit le premier pays européen en nombre de demandes d’asile (42 599 en 2008, – réexamens et mineurs accompagnants compris – soit une hausse de 20 % par rapport à l’année précédente), bien que le taux d’acceptation se monte à 36 % (OFPRA et CNDA confondus), bien que le nombre de personnes placées sous la protection de la France ait augmenté de 30 % l’an passé pour s’établir à 11 141 personnes – hors mineurs accompagnants –, notre pays s’est donc efforcé de participer activement, au nom de la solidarité internationale, à des opérations de réinstallation de réfugiés.

Ces développements, pour importants qu’ils soient, n’épuisent pas, cependant, la question des mécanismes de solidarité permettant de faire une plus grande place aux réfugiés en Europe.

Le nouvel élan donné en octobre 2008, sous présidence française de l’Union européenne, à la construction du régime d’asile européen commun (RAEC) par le Pacte européen sur l’immigration et l’asile, a également fait apparaître, avec une grande acuité, la question de la répartition en Europe des bénéficiaires d’une protection internationale – problème qu’il est courant de qualifier, selon une expression que je trouve déplaisante, parce qu’elle est péjorative pour les migrants, de « partage du fardeau » (burden sharing). Je préfère parler de « partage de l’effort ». La France souhaite des progrès rapides dans la construction du régime d’asile européen commun pour offrir aux personnes les mêmes chances et les mêmes niveaux de protection. Mais pour qu’une même demande soit traitée de la même manière dans l’ensemble de l’Union – ce qui, vous le savez, est loin d’être le cas à l’heure actuelle –, il nous faut harmoniser les textes mais aussi les pratiques.

L’harmonisation des textes a commencé avec l’examen depuis le début de l’année des projets du « paquet asile » présentés par la Commission. Je ne veux pas entrer ici dans le détail de ces documents. Je veux juste rappeler notre objectif, qui est simple : il est garantir un haut degré de protection, sans alourdir les procédures ni allonger les délais ou permettre le détournement – ne soyons pas naïfs – des procédures. Pour harmoniser les pratiques, la France soutient, dans le prolongement du Pacte, la création du bureau d’appui européen en matière d’asile (BEA). Nous comptons sur la présidence suédoise, à partir du 1er juillet prochain, pour mettre en place avant la fin de l’année cette structure de coopération opérationnelle.

Mais comment progresser ensemble vers un régime d’asile européen commun, censé offrir un plus haut niveau de protection, si nous ne progressons pas, dans le même temps, sur la voie d’une répartition plus équitable en Europe des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire ? Il faut dire les choses franchement. Pour les pays exposés à une forte pression migratoire, en particulier pour les pays du bassin méditerranéen qui jouent le rôle de garde-frontières de l’Union au bénéfice de l’ensemble des États membres, les flux de migrants irréguliers sont un sujet constant de préoccupation – pour ne prendre qu’un exemple, celui de la petite île italienne de Lampedusa où je me suis rendu le 12 juin dernier, j’ai appris des autorités italiennes – même si le flux de migrants s’est aujourd’hui tari – que 30 000 étrangers irréguliers ont débarqué en 2008, soit plus de 10 fois sa population permanente de l’île. Dans ce contexte, la demande d’asile peut être perçue, alors que les flux de migrants sont des « flux mixtes », mêlant indistinctement migrants économiques et personnes en besoin de protection, comme une manière de contourner la réglementation applicable en matière d’entrée et de séjour.

La tentation est grande, alors, pour « desserrer la contrainte », pour ne pas subir les conséquences du principe bien connu de l’État responsable prévu par le règlement Dublin, pour encourager les départs vers les pays du Nord ou de l’Ouest de l’Europe, moins exposés aux pressions migratoires, d’adopter des niveaux de protection moindres que ceux appliqués dans ces pays. La tentation est grande, également, de n’accorder qu’avec une grande parcimonie le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire. Le remède paraît simple : supprimer le mécanisme de Dublin ou, à tout le moins, envisager sa suspension.

La mise en oeuvre de cette suspension soulève à l’évidence des difficultés pratiques : Quelle instance de décision ? Selon quelles modalités ? À partir de quel seuil ?

Mais, sous couvert d’une plus grande souplesse, cette solution me paraît illusoire, et même dangereuse pour la pérennité de l’Europe de l’asile. Remettre en cause le mécanisme de l’État responsable reviendrait en effet à affaiblir la cohésion entre les États. Cela conduirait, paradoxalement, à récompenser les pays des efforts qu’ils ne font pas, en n’accueillant pas correctement les demandeurs d’asile, en n’assurant pas l’instruction diligente de leur demande. Mais les pays confrontés aux pressions migratoires les plus vives ne seront prêts à élever leurs standards de protection et, surtout, à en assurer l’application effective, si nécessaire avec l’appui technique du Bureau d’appui européen (BEA) en matière d’asile, dont la création est prévue d’ici la fin de l’année 2009, que si les pays du Nord et de l’Ouest, moins exposés, jouent le jeu de la solidarité européenne.

C’est la voie que la France préconise ; c’est la voie que notre pays souhaite mettre en oeuvre. Le Pacte européen prévoit de « favoriser, sur une base volontaire et coordonnée, une meilleure répartition des bénéficiaires d’une protection internationale des États membres vers d’autres États membres ». Il nous faut aujourd’hui traduire en actes cet objectif politique.

Deux écueils doivent, au préalable, être évités.

Le premier consiste à revenir sur le caractère volontaire de la solidarité européenne pour instaurer un mécanisme de répartition automatique, en fonction de critères à déterminer mais qui peuvent emprunter à la population des États ou à leurs richesses respectives. Cette proposition ne manque ni de force ni de cohérence mais le principe de réalité conduit, au moins dans une perspective de court terme, à écarter cette proposition.

Le second écueil tient au caractère peu exigeant de la « base volontaire » mentionnée dans le Pacte et qui, détournée de sa finalité, permet de mêler bonne conscience et inaction.

Ces deux écueils doivent être contournés au bénéfice d’une approche politique de la solidarité affirmant – si vous me permettez l’expression – une « volonté de solidarité ».

Et comme il faut donner une traduction concrète à cet engagement, la France a décidé d’accueillir sur son territoire 80 personnes – originaires pour l’essentiel de la corne de l’Afrique – qui ont obtenu de Malte le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire.

Je me rendrai, le 26 juin prochain, à la rencontre de ces personnes pour leur présenter les modalités de leur installation en France et leur souhaiter, au nom du peuple français, la bienvenue sur notre territoire.

D’autres initiatives françaises suivront ce premier pas, mais la mise en oeuvre effective de la solidarité européenne suppose que d’autres États membres prennent le relais en acceptant, à leur tour, d’accueillir sur leur territoire des personnes ayant obtenu le statut de réfugiés ou le bénéfice de la protection subsidiaire dans des pays européens exposés à de fortes pressions migratoires.

Ne sous-estimons pas la portée de ce mécanisme de solidarité. Il est seul en mesure, selon moi, de garantir, dans la durée, le succès du régime d’asile européen commun et le renforcement des mécanismes de protection.

Je voudrais, avant d’achever mon intervention, ne pas éluder deux sujets qui ne sont pas sans lien avec le thème de la conférence et dont je mesure l’importance :

 le premier porte sur la récente initiative italienne consistant à renvoyer en Libye plusieurs centaines de migrants en provenance de ce pays et interceptés en haute mer ;
 le second concerne la possibilité ouverte aux personnes protégées en France d’être rejointes par leur famille restée dans le pays d’origine ou déplacée dans un pays voisin – ce que nous appelons, par la distinguer du regroupement familial classique, la réunification familiale.

L’initiative italienne a soulevé des interrogations et le HCR a fait connaître son inquiétude s’agissant de la prise en charge des demandeurs d’asile.

La France a adopté sur cette question une position qui est – je crois – équilibrée.

Le principe selon lequel les États doivent pouvoir assurer le contrôle de leurs frontières – et en l’espèce, les frontières de l’espace Schengen – ne peut faire l’objet de discussions. On ne peut davantage, sans faire le jeu des réseaux de passeurs et des filières criminelles, se résoudre à laisser des migrants, qui ne sont pas tous en recherche de protection, à prendre la mer dans les conditions d’insécurité épouvantables au seul motif qu’ils devraient pouvoir déposer librement une demande d’asile en Europe.

Cependant, et j’ai eu l’occasion d’insister sur ce point lors de mon entretien le 12 juin dernier à Rome avec le ministre italien de l’intérieur et de l’immigration, M. Roberto Maroni, le renforcement des contrôles aux frontières ne doit pas empêcher, pour les personnes fondées à en bénéficier, l’accès aux systèmes européens de protection. C’est précisément ce que les États européens, tous les États européens, ont solennellement réaffirmé dans le Pacte sur l’immigration et l’asile.

Or nous savons tous que parmi les étrangers qui quittent les côtes libyennes à destination de l’Europe se trouvent des personnes en besoin de protection. Il faut donc, au plus vite, mettre en place un dispositif de prise en charge adéquat et assurer l’examen de leur situation.

La coopération du HCR, présent en Libye, sera précieuse, malgré les difficultés posées par le fait que cet État n’est pas partie à la convention de Genève. La France soutient, à ce titre, l’annonce par le commissaire européen Jacques Barrot, d’une initiative prochaine dans la région et renouvelle sa disponibilité pour participer, sous une forme ou une autre, aux futurs dispositifs d’accompagnement. Cette question est inscrite à l’ordre du jour des rencontres à venir entre les États membres de l’Union.

Sur le second point, qui concerne la procédure de « réunification familiale » des réfugiés et dont la portée est essentiellement nationale, vous me pardonnerez d’être plus bref.

Le constat est clair. Malgré les efforts consentis dans le traitement des dossiers, et notamment la diminution des délais d’instruction – passés de 15 mois en moyenne en 2006 à 6 mois aujourd’hui – cette procédure, qui fait intervenir l’administration centrale du ministère, n’est pas satisfaisante. Elle se caractérise par une complexité inutile, une information défaillante et une prise en compte insuffisante des difficultés particulières auxquelles les familles de personnes protégées sont confrontées, dans les pays d’origine, en matière de production d’actes d’état civil et de documents officiels.

J’ai donc demandé qu’une réforme soit rapidement engagée. La nouvelle procédure qui sera mise en place devra s’accompagner d’une meilleure information des personnes concernées.

Je voudrais, pour terminer, vous faire part d’une conviction, alors que l’Union européenne est engagée depuis le début de l’année dans la discussion des textes du paquet asile qui détermineront, pour les années à venir, notre cadre commun d’accueil et de prise en charge des demandeurs d’asile, des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire.

Cette conviction guide mon action et elle est simple. Elle repose toute entière sur le constat que l’asile est au coeur des traditions et des valeurs de l’Europe, qu’elle est une parcelle de son âme, et que notre devoir, en qualité de dépositaires passagers de ces traditions et de ces valeurs, est de les respecter fidèlement.

Je vous remercie.