Discours de Brice Hortefeux pour l’ouverture de la conférence ministérielle « Bâtir une Europe de l’asile »

8 septembre 2008

Mesdames, Messieurs les ministres, chers collègues,
Monsieur le commissaire européen [Jacques BARROT],
Monsieur le haut-commissaire [Antònio GUTERRES],
Mesdames, Messieurs les présidents, secrétaires généraux ou responsables d’associations ou de groupements de défense du droit d’asile,
Mesdames et Messieurs,

Souvenons-nous que le droit d’asile fut consacré l’année même de l’adoption du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, soit l’ancêtre de l’Union européenne. Je veux voir dans cette gémellité la promesse d’une rencontre, celle-là même qui nous unit aujourd’hui au centre de conférences internationales Kléber.

Certes, en 1951, la coopération européenne n’était nécessaire et possible qu’en matière économique ; elle n’était pas encore envisageable dans des domaines touchant à la souveraineté des États, comme l’immigration et l’asile.

Un demi-siècle plus tard, des progrès ont été réalisés, et tout spécialement ces dernières années. Auparavant, chacun parlait du droit d’asile de son côté, désormais, nous en discutons ensemble.

Auparavant, nous nous contentions de normes minimales, désormais nous réfléchissons à des normes communes. Auparavant, les questions étaient abordées entre représentants des administrations et des Etats, désormais - et aujourd’hui pour la première fois dans un tel cadre - , elles sont traitées au niveau européen et avec la participation des représentants de la société civile.

Indubitablement, c’est une nouvelle étape de la construction de l’Europe de l’asile qui est en train de s’ouvrir.

Cette conférence, à laquelle vous avez accepté de participer - ce dont je vous remercie au nom du Président de la République et du gouvernement français - y apportera, j’en suis certain, une contribution capitale.

Comme vous le savez, la convention de Genève organise le droit d’asile à l’échelle du monde. Il est du devoir de l’Union européenne de contribuer à son application à l’échelle de notre continent, en offrant un meilleur niveau de protection aux réfugiés politiques.

Fort de cette ambition, je vous invite à réfléchir à ce que pourraient être les objectifs d’une politique européenne de l’asile.

***

I. L’Europe de l’asile est, aujourd’hui, à un tournant de son histoire.

(1) Le programme de la Haye a permis l’établissement de normes minimales en matière d’asile.

Le royaume des Pays-Bas a, en 2004, porté la mise au point du programme dit « de la Haye », qui a présidé jusqu’à aujourd’hui à la construction de l’Europe de l’asile. Je salue, d’ailleurs, la présence ce matin de Madame ALBAYRAK, ministre de l’intégration des Pays-Bas, et en profite pour féliciter ce pays pour le travail fructueux qu’il a accompli il y a cinq ans.

Trois directives sont issues de la première phase du programme de la Haye qui avait pour finalité d’établir un corpus de normes minimales concernant l’accueil des demandeurs d’asile, le traitement des demandes et les régimes de protection. Il s’agit des directives de 2003 (sur l’accueil des demandeurs d’asile), de 2004 (sur les conditions à remplir pour bénéficier d’une protection) et de 2005 (sur les procédures). S’y ajoute le règlement dit DUBLIN II qui détermine l’État responsable du traitement de la demande d’asile.

Si l’établissement de normes minimales a été utile, force est d’observer que leur application fait l’objet de pratiques divergentes selon les États. Ces disparités traduisent la diversité des réalités historiques comme des situations géographiques.

(2) Cette diversité n’est pas une fatalité, mais, au contraire, une incitation à franchir ensemble une nouvelle étape : celle du rapprochement de nos systèmes de protection.

Il conviendrait de parvenir à l’application d’un régime commun de l’asile en 2010 ou, au plus tard, à l’horizon de 2012.

La présidence française aura l’honneur de contribuer à poser les bases de cette nouvelle phase ; il reviendra aux présidences tchèque et suédoise en 2009, et peut-être aux suivantes, d’en poursuivre l’édification.

Pourquoi un tel délai ? Parce que le rapprochement de nos systèmes de protection nécessite au préalable une évaluation de l’application des directives en vigueur et un partage d’expériences entre États membres. Ce n’est qu’à ces conditions que nous pourrons définir les moyens d’action de l’Union européenne et des États membres à l’égard des États tiers et des institutions internationales.

Il est bien évident que ces objectifs ne seront atteints que si l’ensemble des États membres en décident ainsi. Les conséquences des flux de demandes d’asile sur les sociétés d’accueil rendent indispensable un travail de fond avec les organisations de la société civile et les opinions publiques.

II. Dans notre réflexion pour renforcer l’Europe de l’asile, nous pouvons nous appuyer sur deux documents.

(1) Je pense, d’abord, aux propositions de la Commission européenne. Jacques BARROT nous en parlera tout à l’heure.

Dans le sillage de son livre vert du 6 juin 2007, la Commission a publié, le 17 juin 2008 - à quelques jours du début de la présidence française - un « plan d’action sur l‘asile : une approche intégrée de la protection dans l’Union européenne »

Je veux saluer à cette occasion, pour leur présence mais surtout pour l’énergie et le dévouement qu’ils consacrent à la construction de l’Europe de l’asile, M. Jacques BARROT, Commissaire européen et M. Gérard DEPREZ, représentant le Parlement européen, président de la Commission libé. Le Parlement européen est un interlocuteur majeur du travail que nous entreprenons, et je tiens à souligner l’implication qui est la sienne.

Les propositions de la Commission reposent sur une stratégie en trois volets. Le premier volet concerne la mise en cohérence des législations nationales. Le deuxième préconise une coopération pratique effective, et le troisième concerne la solidarité et la responsabilité entre les États membres ainsi qu’avec les États tiers.

La présidence française remercie la Commission de ses propositions et constate avec satisfaction qu’elles sont cohérentes avec le contenu du projet de Pacte européen sur l’immigration et l’asile.

(2) Le projet de Pacte européen sur l’immigration et l’asile est l’expression d’une volonté politique des Etats membres.

Proposé par la France, co-parrainé par l’Allemagne et l’Espagne et approuvé dans son principe et ses grandes lignes lors de la réunion de Cannes en juillet dernier, ce texte porte une ambition : progresser ensemble pour bâtir une Europe de l’asile.

J’en profite pour saluer l’ensemble des délégations ministérielles présentes aujourd’hui et les ministres qui ont pleinement contribué au travail constructif opéré lors de la réunion informelle du conseil JAI à Cannes et du conseil JAI formel du 25 juillet dernier.

Le Conseil des ministres a fait sien un principe auquel la France est historiquement très attachée. Je le résumerai en une formule : l’asile n’est pas et ne sera jamais une variable d’ajustement de la politique d’immigration. S’il existe des sujets communs aux deux matières - par exemple dans le domaine de l’accueil des demandeurs d’asile aux frontières de l’Union - l’asile relève de principes et de moyens d’action tout à fait spécifiques.

Le projet de Pacte affiche une ambition conforme aux règles propres du droit international de l’asile. Elle est de conduire les États membres à établir ensemble un niveau de protection plus élevé qu’il n’est actuellement. En procédant ainsi, l’Union européenne contribuerait à établir les conditions indispensables pour diminuer fortement - voire annuler - les mouvements secondaires de demandeurs d’asile entre les États.

Pour améliorer ce niveau de protection, le projet de Pacte contient une série de propositions : la mise en place, dès 2009, d’un bureau d’appui ; la présentation en 2010 et, au plus tard à l’horizon 2012, des piliers du régime européen commun de l’asile ; la construction des outils de solidarité entre les États en cas de crise dans un État membre confronté à un afflux massif de demandeurs d’asile ; la coopération avec le HCR pour assurer une meilleure protection aux personnes qui en font la demande à l’extérieur du territoire des Etats membres.

Avec le projet de Pacte européen sur l’immigration et l’asile et le plan d’action de la Commission, les États membres disposent du corpus nécessaire pour progresser dans la construction de l’Europe de l’asile.

III. Le contexte international nous incite à poursuivre nos efforts.

(1) D’abord, j’observe que les opinions publiques européennes sont légitimement sensibles aux questions d’asile, parce qu’elles touchent à l’application de l’État de droit.

Le traitement des mouvements de populations par les États, à l’échelle du monde, interpelle les opinions publiques. Les organisations de la société civile relaient pour une part celles-ci. Je salue leur présence et les remercie solennellement pour leur action si importante dans les domaines de l’information des opinions publiques, l’accueil des demandeurs d’asile et l’intégration des personnes protégées.

Il est normal que les pouvoirs publics assument leurs responsabilités, y compris au plan budgétaire. La France, par exemple, consacre 47% du budget du ministère dont j’ai la responsabilité, à la couverture des frais d’accueil, de traitement des demandes d’asile et de protection des personnes titulaires d’un statut. Ces financements permettent de maintenir un haut niveau de prestation et de qualité juridique. Le système français de suivi des demandes d’asile est, en effet, constitué d’une agence autonome, l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), et d’une juridiction spécialisée, la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), qui sera en 2009 directement rattachée au Conseil d’État, cour souveraine des juridictions administratives.

(2) Ensuite, je salue l’implication des institutions internationales dans la régulation des flux de demandes d’asile

Je ne ferai pas état de l’ensemble des statistiques publiées par le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés. Quelques-unes doivent cependant retenir notre attention. Selon les chiffres de 2006 rendus disponibles à la fin de l’année 2007, près de 10 millions de personnes dans le monde - 9,9 millions très exactement - sont des réfugiés (hors situation particulière des réfugiés palestiniens). Parmi ceux-ci, 38 % se trouvaient en Asie centrale, en Asie du Sud-ouest (Pakistan, Afghanistan, Iran), en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient ; 25 % en Afrique ; 18 % en Europe ; 10 % en Amérique et 9 % en Asie du Sud-est.

Les pays riches n’accueillent que 5 % des réfugiés. Les populations déplacées sont donc réparties dans de nombreux États. Le HCR estime à 6 millions le nombre de ceux qui sont en situation d’exil prolongé, c’est-à -dire qui n’ont pas de perspective de retour dans leur pays ou région d’origine. Il faut le rappeler, la relative concentration géographique de populations réfugiées peut conduire à des situations dramatiques de confrontation entre les populations locales et les réfugiés. A cela, s’ajoutent les conséquences des tensions persistantes sur les ressources alimentaires, par exemple.

Face à ces défis permanents, les organisations internationales jouent un rôle fondamental. Je tiens à saluer la présence ce matin de M. Antonio GUTTERES, Haut commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés.

Le HCR remplit un rôle essentiel. Il intervient à la fois comme conseiller des États - par exemple en France où il assiste aux séances du conseil d’administration de l’OFPRA et participe aux formations de jugement de la CNDA. Il intervient aussi comme régulateur des flux au plan international quand il intervient sur les théâtres de crise - par exemple actuellement en soutien aux personnes déplacées ou réfugiées d’Irak. L’accueil de réfugiés irakiens en France constitue, d’ailleurs, un exemple des coopérations possibles : en association avec le HCR, nous avons établi un programme de réinstallation, tandis que l’OIM (l’Office international des migrations) gère, de son côté, l’acheminement des personnes accueillies en France.

Ces exemples illustrent l’importance de la dimension extérieure de la politique européenne en faveur de l’asile.

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Mesdames, Messieurs,

La conférence ministérielle qui nous réunit aujourd’hui est une étape essentielle de la construction de l’Europe de l’asile. La présidence française, qui se veut modeste, vous propose ici un exercice ambitieux : assurer un niveau de protection encore plus élevé des demandeurs d’asile en Europe.

Cette étape est essentielle par son objet : elle contribuera à l’établissement des bases d’un régime européen d’asile qui alliera un niveau de protection élevé, des dispositifs de solidarité entre États et un dialogue constructif avec les États tiers.

Cette étape est essentielle, aussi, par la méthode qui a été retenue : la protection des réfugiés interpelle à bon droit les opinions publiques et de nombreux groupements privés ou publics qui y contribuent. Ces derniers doivent trouver dans cette enceinte un moyen d’expression publique sur le sujet, afin, par un discours responsable, de construire une vision commune qui corresponde aux souhaits profonds des citoyens européens : le respect des droits de l’Homme ; la protection contre les abus et les fraudes ; l’efficacité de la réponse européenne.

Cette étape est essentielle, enfin, car elle est le fruit d’une volonté politique forte et légitime : accueillir et protéger les étrangers persécutés dans leur pays d’origine tout en décourageant, avec discernement, les demandes abusives. Voici le défi que je nous invite, tous ensemble, à relever et à honorer.