La proposition de loi sur le prétendu « délit de solidarité » : inutile et dangereuse

30 avril 2009

Jeudi 30 avril 2009

 DOSSIER DE PRESSE

Au sommaire :

▪ Questions/réponses sur la PPL

▪ Les questions migratoires : le PS face à ses contradictions

▪ De 1998 à 2009, le faux débat du « délit d’humanité »

▪ Lettre d’Eric BESSON aux présidents des associations ayant appelé à manifester le 08 avril

▪ La PPL

▪ Livret des associations…à l’intention de leurs bénévoles)]

La PPL en 10 Questions

1. Que dit la loi aujourd’hui ?

Les filières d’immigration clandestine emmènent, transportent et exploitent des femmes, des hommes, des enfants, dans des conditions contraires à toute dignité humaine.

La loi dit (article L622-1 du code l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA)) que toute personne qui, par aide directe ou indirecte, facilite ou tente de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France s’expose donc à un risque de poursuites, à l’exception (L622-4) des personnes qui ont aidé un membre de leur famille ou une personne vivant en situation maritale notoire avec elles, ou des personnes qui ont aidé quelqu’un en situation de détresse (« lorsque l’acte reproché est, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte »)

Toute personne, particulier, bénévole, association, qui s’est limitée à héberger des clandestins en situation de détresse, n’est donc pas concernée par ce délit.

L’action humanitaire n’est pas concernée par l’article L.622-1. Cette action ne peut par ailleurs être poursuivie ou condamnée, en application d’un principe général de notre droit pénal, selon lequel un délit n’est constitué que si son auteur a eu l’intention de le commettre. Or, en aucun cas, ce caractère intentionnel ne peut être constitué à l’égard d’une association humanitaire dès lors qu’elle agit conformément à son objet.

Jean-Pierre Chevènement, alors Ministre de l’Intérieur, déclarait le 8 avril 1998 en s’opposant à un amendement législatif sur un prétendu « délit d’humanité » : « Aucune poursuite n’a jamais été engagée par aucun gouvernement à ce sujet. »

2. Jusqu’où est acceptable l’aide aux clandestins (hébergement, nourriture, recharge de portable) ?

Personne en France n’a jamais été condamné pour avoir seulement hébergé, nourri, ou rechargé les téléphones portables d’étrangers en situation irrégulière.

L’Etat lui-même accueille dans les centres d’hébergement d’urgence les étrangers en détresse, quelle que soit leur situation administrative. Il apporte, avec les collectivités locales, un important soutien technique et financier, plus de 20 millions d’euros par an, aux associations venant en aide aux immigrés en situation irrégulière, dont le rôle humanitaire est indispensable.

Les personnes qui ont été poursuivies ou condamnées au titre de l’article L.622-1 sont allées beaucoup plus loin que l’action humanitaire, en participant au travail des passeurs en toute connaissance de cause.

En un demi-siècle d’application de cette loi, seuls 4 bénévoles d’associations d’aide aux clandestins ont été auditionnés dans le cadre d’informations judiciaires ouvertes contre des filières clandestines. 2 d’entre eux ont été condamnés pour être allés bien au-delà de l’action humanitaire et pour des faits qui dépassent également très largement ceux qu’ils veulent bien indiquer dans les medias. Deux autres procédures sont toujours en cours.

Il est inexact de dire que les associations d’aide aux clandestins seraient harcelées, alors que ces 4 cas représentent une part infime des 5.000 personnes mises en cause chaque année pour aide au séjour irrégulier en France, sur la base de l’article L.622-1, et qu’aucun des milliers de bénévoles qui interviennent chaque jour auprès des étrangers en situation irrégulière n’a jamais été mis en cause ou condamné pour avoir seulement accompli une action humanitaire.

3. L’article L.622-1 est-il efficace ?

Cet article constitue la base juridique de l’ensemble de notre politique de lutte contre les filières d’immigration clandestine. C’est donc l’un des piliers de notre politique de maîtrise des flux migratoires.

Cet article a permis d’interpeller 4.500 personnes ayant participé à ces filières en 2008, contre 3.800 en 2007.

Pour l’année 2007, cet article a permis d’obtenir la condamnation de 1.000 personnes. Aucune d’entre elles n’agissait en tant que bénévole d’une association d’aide humanitaire, puisque l’action humanitaire est exclue par l’article L.622-4 du champ de l’article L.622-1.

Si certains bénévoles ont bien été condamnés, ils l’ont été pour des actes qui ne relèvent pas de l’action humanitaire, comme l’entrave aux mesures d’éloignement ou l’outrage à agents.

Le terme « aidant » pour qualifier les personnes poursuives et condamnées au titre de l’article L622-1 est maladroit, car il donne le sentiment que l’objectif est de poursuivre les gens de bonne volonté, alors que l’objectif est de poursuivre les personnes de mauvaise foi.

Ce terme n’est pas présent dans la loi. Il n’a pas de valeur juridique. Il est issu du vocabulaire policier, repris dans un document annexé à la loi de finances, qui regroupe sous cette dénomination toutes les personnes poursuivies et condamnées au titre de l’article L.622-1 :

 

Eric Besson a demandé à ses services de retirer à l’avenir ce qualificatif d’« aidant » pour éviter toute confusion avec les personnes agissant à titre humanitaire, et de le remplacer par le terme « trafiquant ». Sous ce vocable, nous considérerons les organisateurs, les passeurs, les logeurs, les employeurs, les fournisseurs et les conjoints de complaisance ; il y a donc 6 réalités concrètes et opérationnelles de trafiquants.

4. L’article 622-5 ne serait-il pas un outil suffisant ?

L’article L622-5 aggrave les sanctions lorsque le délit a été commis en bande organisée, a exposé les étrangers à des risques de mort ou de blessures, ou les a soumis à des conditions de vite, de transport, de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine.

Se limiter à cet article reviendrait à légaliser l’immigration clandestine lorsqu’elle est organisée par des personnes seules. Les passeurs isolés seraient exonérés de toute responsabilité et de toute poursuite.

5. L’Etat peut-il poursuivre une personne qui aide un étranger en situation irrégulière hors situation de détresse, par exemple en prenant un clandestin en stop ?

L’article L.622-4 prévoit justement que les personnes qui, de façon ponctuelle, hébergent, alimentent, ou transportent un clandestin, parce qu’elles estiment que cette personne, privée de toit ou de couvert, encourt des risques sérieux pour sa vie ou son intégrité physique, ne peuvent être inquiétées au titre de l’article L.622-1.

Notre législation est « humaine » car elle autorise l’aide aux clandestins dans les cas de détresse. Et l’Etat est lui-même apporte aux étrangers en situation irrégulière une importante aide humanitaire : assistance juridique, soins et hébergement d’urgence, mais aussi subvention aux associations d’aide humanitaire qui interviennent auprès des clandestins.

En revanche, on ne peut accepter les situations qui conduisent à pérenniser dans la durée, bien au-delà de l’urgence et de l’humanitaire, et en toute connaissance de cause, afin de les soustraire à l’application de la loi, l’accueil d’étrangers en situation irrégulière.

6. Cette proposition de loi n’est pas souhaitable ?

Elle est la reprise d’une vieille rengaine angélique :

Lors de la discussion de la loi sur l’entrée et le séjour des étrangers du 11 mai 1998, Noël Mamère avait déjà présenté un amendement législatif visant à supprimer un prétendu « délit d’humanité ». Cet amendement avait été repoussé par le Gouvernement de Lionel Jospin et le Ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement. Cet amendement ressurgi aujourd’hui sous le nom de « délit de solidarité ». Il ressortira probablement dans dix ans sous le nom de « délit de charité ».

Elle est inutile :

L’article L622-4 exempte déjà toute personne, particulier, bénévole, association, qui s’est limitée à apporter une aide humanitaire aux clandestins en situation de détresse. Par ailleurs, un principe général de notre droit pénal prévoit qu’un délit n’est constitué que si son auteur a eu l’intention de le commettre. Or, en aucun cas, ce caractère intentionnel ne peut être constitué à l’égard d’une association humanitaire dès lors qu’elle agit conformément à son objet.

Les principales associations venant en aide aux étrangers en situation irrégulière (CIMADE, Secours Catholique, Emmaüs France, Fédération d’Entraide Protestante, Ligue des Droits de l’Homme…) ont elles-mêmes publié début mars, avant la polémique du film Welcome, un guide pédagogique à destination de leurs bénévoles et salariés, intitulé « Etrangers en situation irrégulière - Que dois-je faire ? », dans lequel elles précisent parfaitement que « les permanences d’associations peuvent accueillir qui elles souhaitent », que pour les centres d’hébergement d’urgence et lieux assimilés, « la situation de régularité administrative d’une personne n’est pas un critère à prendre en compte », et que « les associations agissant pour des raisons humanitaires ne peuvent être poursuivies ». Cet excellent guide mérite publicité (ci-joint).

Elle est dangereuse :

a) Elle conduirait les filières clandestines à créer des associations locales humanitaires « paravent » pour échapper à toute poursuite. Sous couvert d’une action humanitaire à but non lucratif, ces dernières pourraient proposer en toute impunité sur notre territoire, une offre intégrée d’hébergement, d’alimentation, de transport, qui pourrait être facturée en amont ou en aval de la migration. Aujourd’hui même, nous avons des preuves que certaines filières facturent en réalité aux clandestins l’aide que les bénévoles apportent, qu’il s’agisse d’hébergement, d’alimentation, ou de transport. L’aide non lucrative des uns peut être très lucrative pour d’autres !

b) Elle désarmerait complètement nos forces de police face à ces réseaux de l’esclavagisme moderne. Elles seraient contraintes de prouver systématiquement le caractère lucratif avant d’engager toute action. Or cette preuve est le plus souvent impossible à apporter, l’argent étant échangé en liquide. Cette proposition réduirait à néant notre politique de lutte contre les filières clandestines.

Elle est inapplicable :

Prenant appui sur le fait qu’aucun bénévole d’association humanitaire n’a jamais été poursuivi ou condamné au titre de cette activité, certains en déduisent qu’il serait donc possible et souhaitable d’inscrire dans la loi, de manière explicite, une immunité générale.

Mais comment faire la différence entre les « bonnes associations humanitaires » et les « mauvaises », associations paravents, faux nez des réseaux de passeurs ?

Le législateur avait déjà été confronté à cette difficulté en 1998, lors de l’adoption de la loi RESEDA présentée par Jean-Pierre Chevènement (loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile). Il faut tirer la leçon de ce précédent :
 la majorité de l’époque, dont je faisais partie, avait adopté une disposition garantissant l’immunité pénale aux « associations à but non lucratif à vocation humanitaire », mais devant les risques de dévoiement de cette notion, elle avait renvoyé à un arrêté du ministre de l’intérieur le soin d’en fixer la liste.
 Le Conseil constitutionnel n’avait pas manqué de censurer cette disposition en considérant que le législateur aurait dû préciser lui-même le champ de l’immunité pénale qu’il entendait créer et qu’il n’avait pas à déléguer cette mission au pouvoir réglementaire.

Nous ne pensons pas qu’il soit souhaitable de définir par la loi ce qu’est l’action humanitaire. Et nous ne sommes pas sûrs que les associations humanitaires y aient intérêt elles-mêmes.

Elle est absurde :

L’idée d’une dispense de loi pour ceux qui agissent sans but lucratif est absurde. La plupart des délits commis dans ce pays n’ont pas un objectif d’enrichissement personnel, et n’en méritent pas moins d’être poursuivis. Un bénévole qui effectue des transferts d’argent des clandestins vers les passeurs va au-delà de l’action humanitaire.

L’enrichissement personnel est certes un facteur aggravant, mais un but non lucratif ne saurait systématiquement exonérer de toute responsabilité. On peut porter atteinte aux lois de la République par passion, par idéologie, ou par imprudence.

7. Notre droit n’est-il pas contraire à la directive européenne, qui prévoit une exclusion de toute poursuite pour les actions à but non lucratif ?

La directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irrégulier a été adoptée à l’initiative de la France, à partir de notre propre législation, et on voit mal comment il pourrait y avoir une contradiction entre les deux.

La finalité de cette directive est, dans un contexte Européen de mise en place de la libre circulation, d’harmoniser a minima les dispositifs de lutte contre l’immigration clandestine, inexistants dans certains pays de l’UE peu soumis à des pressions migratoires.

Les sanctions en matière d’aide à l’entrée et au transit (ce dernier terme correspondant pour nous à la circulation) ne sont pas subordonnées dans la directive à l’existence d’un but lucratif.

La directive prévoit une sanction minimale pour l’aide à l’entrée et au séjour dans un but lucratif, mais laisse aux Etats-membres le soin de renforcer ce dispositif.

La directive date de 2002 et la manière dont elle est transposée dans le droit français n’ont jamais donné lieu à critiques.

8. La France se distingue-t-elle des autres pays européens par une transposition « dure » de la directive européenne ?

La France ne se distingue pas par une transposition « dure » de la directive européenne :
La France applique la clause d’exemption humanitaire, contrairement à plus de la moitié des Etats membres (15), dont le Royaume-Uni, l’Autriche, l’Espagne, le Portugal, etc. Cette clause d’exemption humanitaire autorise un Etat à appliquer sa législation ou sa pratique nationale, dans le cas où le comportement de « l’aidant » a pour but d’apporter une aide humanitaire à la personne concernée (cas d’entrée et de transit seulement).
▪ En outre, elle se situe dans la moyenne des sanctions pénales prévues.

Enfin, observons que de manière générale, la large majorité des Etats membres a appliqué la directive de manière restrictive et non favorable :
▪ Ainsi, sur les 27 pays de l’Union Européenne, il n’y a que deux pays qui conditionnent l’ensemble des sanctions, pour des cas d’aide à l’entrée, au transit et au séjour, à un but lucratif (Bulgarie et Belgique), le reste des Etats-membres non.

9. Quelle est l’origine de cet article de loi ?

Si un décret-loi de 1938 [1] sur la police des étrangers comportait déjà cette phrase dans son article 4 : “Tout individu qui par aide, directe ou indirecte, aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour d’irréguliers d’un étranger sera puni d’une amende de cent à mille francs et d’un emprisonnement d’un mois à un an”.

Signalons que ce décret loi comportait des choses beaucoup plus dures en matière de gestion des clandestins, comme par exemple son article 6 :

Art. 6. - Toute personne logeant ou hébergeant un étranger en quelque qualité que ce soit, même à titre gracieux, ou louant des locaux nus à un étranger, devra, dans les vingt-quatre heures de l’arrivée ou de la location, pour les hôteliers, logeurs et gérants responsables de pensions de famille, et dans les quarante-huit heures au plus, pour les particuliers, en faire la déclaration au commissariat de police du quartier ou de la commune dans laquelle , résidera l’étranger ou à la gendarmerie, ou à défaut à la mairie.

Cette phrase (article 4 sus mentionné) est le seul élément conservé dans l’ordonnance du 2 novembre 1945, dont il faut rappeler :

▪ qu’elle a été signée par le général de Gaulle
▪ et rédigée par un futur juge à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, Pierre-Henri Teitgen, un grand résistant qui fut le successeur de Jean Moulin, Alexandre Parodi, et un député socialiste, ancien militant SFIO, Adrien Tixier.

Ni le général de Gaulle, ni Pierre-Henri Teitgen, ni Alexandre Parodi, ni Adrien Tixier, ne peuvent être soupçonnés d’avoir cherché à criminaliser l’action humanitaire…

10. Quelle réalité recouvre le « climat » de tracasseries, de pressions dont parlent certains bénévoles. ?

Le discours des quelques associations d’aide aux clandestins qui font état de ce fameux « climat » a bien évolué. Certaines ont d’abord évoqué « de nombreuses condamnations » assurant disposer de listes dont le maigre contenu n’a fait que confirmer le mythe du « délit de solidarité ». Puis ils ont évoqué un « climat », une « multiplication des mises en cause de bénévoles » qu’aucun cas précis ne permet de confirmer.

En revanche, le « climat » que font subir les filières d’immigration clandestine aux migrants, filières qui sont aussi celles de la traite des êtres humains, de l’exploitation, de la servitude domestique, du proxénétisme, est lui bien réel. Les migrants qui ont été blessés ou tués à Calais et ailleurs ne l’ont pas été par la police, mais par les passeurs et les exploiteurs de misère humaine.

Enfin, pour démanteler les filières et trafiquants, la justice avec le concours de la police doit être sur le terrain et doit pouvoir effectivement enquêter, interroger. C’est un travail de long terme qui nécessite un travail quotidien au plus près des lieux et des personnes que fréquentent les passeurs.

Nous sommes de plus dans un Etat de droit, un Etat républicain : l’action de la police est encadrée en particulier, elle agit sous la direction de la justice qui diligente les enquêtes.

[1]

Il s’agit du premier “statut” des étrangers. Il a été adopté dans un contexte de xénophobie et antisémitisme exacerbées alors que depuis le milieu des années 1930 les gouvernements ont multiplié les retours forcés d’étrangers.