Une journée avec un chef de centre de rétention administrative.

Une journée avec un chef de centre de rétention administrative.
30 août 2012

Il existe vingt-cinq centres de rétention administrative (CRA) en France, chargés d'accueillir des étrangers en situation irrégulière sur le territoire national et de préparer leur départ. Parmi eux, le CRA de Toulouse est dirigé par le commandant de police Jean-Christophe B. Il nous a ouvert les portes de son établissement.


7 heures

La brigade de nuit a été relevée. Aucun incident notable n'est à signaler. Les premiers retenus sortent de leur chambre pour se rendre au réfectoire sous la surveillance des policiers de la PAF de la Haute-Garonne. Après s'être restaurés, les hommes se dirigent dans les sanitaires communs pour se raser sous le contrôle des agents de la PAF. 111 policiers, dont 49 gardiens de la paix et 31 adjoints de sécurité (ADS), se relaient 24 h/24 et 7 jours/7 dans l'enceinte du CRA. "Notre mission de garde des retenus représente une véritable philosophie", explique Jean-Christophe B. "Nous devons assurer à la fois la sécurité, la sérénité, la tranquillité et le bon fonctionnement du centre. Cela passe par le dialogue et le relationnel. Nous essayons d'apporter un soutien aux retenus par une écoute attentive. L'objectif est de répondre à des problèmes humains par de l'humain dans le strict respect des droits de chacun".

9 heures

Un homme d'origine marocaine en situation irrégulière, arrêté deux jours plus tôt à la gare de Toulouse, est conduit au CRA. Après une garde à vue, une procédure d'ESI (étranger en situation irrégulière) a été diligentée contre lui. Son placement en rétention a été décidé par arrêté préfectoral. Les retenus sont placés dans un premier temps pour quarante-huit heures, renouvelable selon les cas pour une durée maximale de trente-deux jours. La durée de présence dans le CRA dépend avant tout de l'identification des individus. S'ils possèdent des papiers d'identité, la procédure de reconduite est facilitée. Dans le cas contraire, un travail d'identification est effectué entre la cellule d'identification du CRA, la préfecture et les consulats. 29 % des retenus du CRA de Toulouse ont été remis en liberté en 2009 faute d'identification. Les centres de rétention ont une compétence nationale ; n'importe quelle préfecture peut y placer un individu. En 2009, les retenus du CRA de Toulouse venaient de trente-et-une préfectures différentes.

12 h 30

L'unité d'escorte prend en charge trois retenus pour les transférer dans divers lieux. "Les transferts sont très fréquents. Nous accompagnons les retenus vers les consulats pour la délivrance de laissez-passer, vers la cour d'appel, le tribunal administratif, pour rencontrer le juge des libertés et de la détention (JLD), pour des consultations médicales spécifiques, ou pour leur éloignement. Une cellule d'escorte s'occupe de tous ces transferts, soutenue logistiquement par la cellule d'appui à l'éloignement".

14 h 45

Le ressortissant marocain arrivé le matin même accepte la proposition d'effectuer une visite médicale. Une infirmière le prend en charge. "Sur 1885 retenus en 2009, nous avons effectué près de 14000 consultations, explique l'une des quatre infirmières du CRA. L'unité médicale est indispensable dans la vie du CRA ; elle est ouverte en permanence pour répondre à toute demande. Nous rencontrons beaucoup de cas de problèmes dentaires, de toxicologie, de toxicomanie et de troubles psychologiques. Ces personnes sont très souvent négligentes ou en état de précarité et trouvent ici une aide médicale importante. De plus, le service médical est totalement neutre et ne prendra jamais parti entre la police, les retenus ou les associations".

15 heures

Jean-Christophe B. se rend au bureau de la CIMADE (comité inter-mouvement auprès des évacués) pour aborder différents thèmes. Cette association possède un bureau permanent dans les locaux du CRA et effectue une assistance juridique des retenus : "Le centre de rétention est la structure de police la plus contrôlée de France. Nous avons fréquemment des visites du procureur de la République, de parlementaires et de commissions de contrôle, comme la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), le contrôleur général des lieux de privation de libertés ou le comité européen pour la prévention de la torture et des peines. Nous n'avons rien à cacher, nous devons donc énormément communiquer avec ces différents acteurs".
Le chef du CRA collabore par ailleurs avec un grand nombre de partenaires, notamment le secrétariat général pour l'administration de la police, pour le suivi des marchés d'externalisation en matière de maintenance du bâtiment, de restauration, de blanchisserie et de nettoyage ; les hôpitaux toulousains qui veillent à la santé des retenus ; ou encore l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui apporte une aide logistique aux retenus (vêtements, cigarettes, cartes téléphoniques, etc.).

16 h 20

Le commandant B. s'installe derrière son PC pour échanger par mails avec ses homologues des autres CRA. Le partage d'informations et de bonnes pratiques est indispensable : "Nous avons été récemment confrontés à un incendie provoqué en pleine nuit par un retenu. Quinze policiers ont été blessés. Nous avons donc acheté des masques pour intervenir en milieu enfumé. Mes échanges avec mes collègues leur ont fait sentir la nécessité de s'équiper de ce genre de matériel. Par ailleurs, la DCPAF a créé un pôle central d'éloignement qui réunit les différents chefs de CRA. Des pratiques peuvent être généralisées, et des passerelles d'échanges installées entre nous".

17 h 15

Un retenu est placé en chambre de mise à l'écart après avoir voulu agresser un policier. Seul le chef du CRA et son adjoint sont habilités à prononcer une mise à l'écart en cas de trouble à l'ordre public, de menaces à la sécurité ou d'injures aux autres retenus ou au personnel du centre, voire de dégradations graves des locaux. "Même si je privilégie le dialogue et l'écoute, nous évoluons parfois dans un milieu hostile où le moindre problème peut prendre des proportions énormes. Avec des incendies, des automutilations, des fuites, des refus de s'alimenter, des agressions, des tentatives de suicide, un chef de CRA peut très vite se retrouver dans l'œil du cyclone… Entre deux maux, je préfère donc choisir le moindre".
Lorsque l'on aborde avec lui la nuance entre rétention et détention qui peut apparaître ténue à certains, Jean-Christophe B. répond immédiatement : "La grosse différence concerne la durée. Nous ne pouvons garder une personne au-delà de trente-deux jours. Les retenus sont également libres de circuler jour et nuit dans leur zone, peuvent téléphoner quand ils le souhaitent, ont des visites illimitées, des chambres qui sont très loin des prisons, des prestations de cantine de qualité et la possibilité de rester en famille le cas échéant". En effet, les 126 places du CRA de Toulouse sont réparties en cinq zones : trois zones de trente places pour les hommes, une zone de vingt places pour les femmes et une zone de seize places pour les familles. Cette dernière peut accueillir des parents avec enfants, des couples, des frères et sœurs…

19 heures

Avant de quitter son poste, le chef du CRA souligne : "Il n'y a pas une journée qui ressemble à une autre dans un centre de rétention. Le commandant doit être polyvalent, adaptable et avoir un sens aigu de la communication. Selon moi, l'appellation "centre de rétention administrative" évoque mal la vocation de cet établissement qui a pour mission principale l'assistance au départ des étrangers en situation irrégulière sur le territoire national. S'il devait être rebaptisé, le CRA pourrait s'appeler “centre d'assistance au départ”".