Discours de Brice Hortefeux au siège de l’Agence Française de Développement

24 janvier 2008

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de m’exprimer devant vous ce matin et je remercie MM. WILTZER et SEVERINO pour leur accueil chaleureux et leur invitation utile. J’ai souhaité, en effet, vous rencontrer et ce, pour trois raisons :

 d’abord, pour vous féliciter, simplement mais sincèrement, du travail important que vous effectuez, sur le terrain pour beaucoup d’entre vous, mais aussi à Paris. Fort d’un réseau de plus de 40 agences à travers le monde et de près de 1 600 collaborateurs, vous êtes un acteur incontournable de la politique de développement de la France. Un acteur de plus en plus incontournable, d’ailleurs, tant vos engagements financiers progressent chaque année : + 22% en 2006, par exemple ;

 m’exprimer devant vous ce matin est aussi l’occasion pour moi de vous faire mieux connaitre le nouveau ministère régalien que le Président de la République avait appelé de ses vœux, que le Gouvernement de François FILLON a créé il y a huit mois et que je dirige avec passion et détermination ;

 Enfin, je souhaite ce matin vous faire partager les nombreuses interactions qui existent entre l’activité du ministère du codéveloppement que je dirige, votre mission au sein de l’AFD et les orientations définies par le Président de la République en matière de politique de développement. Notre mission est commune, notre travail doit donc être collectif.

I. Tout d’abord, je voudrais vous dire à quel point je compte, comme ministre en charge du codéveloppement, prendre toute ma part à la mission d’aide au développement de la France.

Comme ministre en charge du codéveloppement, j’assure désormais, conjointement avec mes collègues des Affaires étrangères, Bernard KOUCHNER, et des Finances, Christine LAGARDE, le secrétariat permanent du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le CICID.

Le Premier ministre a, par ailleurs, souhaité que je siège au Conseil d’administration de votre maison, l’AFD.

Je siège, enfin, au Conseil national de la Coopération décentralisée, ce qui me permet de développer les partenariats avec les collectivités territoriales qui, je le constate souvent, sont des acteurs appréciés des territoires source d’immigration.

Ma présence à ces Comités et ces Conseils n’est pas anodine. Derrière ces réalités institutionnelles, elle signifie, très concrètement, que je contribue aujourd’hui activement à la définition des axes prioritaires de la politique française d’aide au développement.

Cette contribution est, aujourd’hui, entrée dans les faits. En effet, depuis sa création en mai dernier, mon ministère travaille en partenariat étroit avec le ministère des Affaires étrangères et européennes, son secrétariat d’Etat à la Coopération et à la Francophonie, ainsi qu’avec le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi.

Depuis le 1er janvier, date de la création officielle de l’administration centrale de mon ministère, une équipe s’active autour de M. Kacim KHELLAL, chef du service des affaires internationales et du codéveloppement et de M. André BAILLEUL, chef du département du codéveloppement. Vous aviez, pour certains d’entre vous, sans doute déjà commencé à travailler avec eux, et je tiens, d’ailleurs, à vous remercier des contributions que vous avez pu apporter à notre réflexion et à nos actions.

Au-delà des hommes, il y a une politique. Cette politique, quelle est-elle ? Qu’avons-nous fait ? Et qu’allons-nous faire ?

II. Il est légitime, à mes yeux, que la France poursuive une politique cohérente en matière d’aide au développement dans le cadre d’une maîtrise concertée des flux migratoires.

L’immigration est un sujet crucial pour notre nation et un enjeu d’envergure planétaire. Il est tout aussi inconscient de penser que l’immigration est sans incidence sur le devenir de notre nation que de croire que l’immigration n’a pas contribué à forger notre identité. Nous devons donc reconnaître l’intérêt pour notre pays et les pays d’origine d’autoriser et de maîtriser à bon escient les flux migratoires.

Notre politique doit donc se situer autour d’un juste équilibre :

 D’une part, la France ne veut pas d’une immigration zéro, qui n’est ni possible ni souhaitable ;

 D’autre part, la France ne pillera pas les élites ou la main d’œuvre des pays qui ont besoin de toutes leurs forces pour se développer, ce à quoi nous voulons contribuer.

A long terme, nous le savons tous, le développement est la seule solution qui permettra de mieux maîtriser les flux migratoires. La pression de l’immigration clandestine qui s’exerce sur le Nord se nourrit à l’évidence des déséquilibres du Sud. Aujourd’hui, plus d’un tiers des 900 millions d’Africains vit avec moins d’un euro par jour. La moitié de la population de ce continent a moins de vingt ans. Le continent africain représente 65% des flux migratoires réguliers vers la France à des fins de séjour permanent.

L’un des grands enjeux des années à venir est donc de redonner à la jeunesse d’Afrique et des pays pauvres confiance en elle-même, pour lui faire comprendre qu’il existe un avenir en dehors de l’émigration. Notre objectif est de permettre aux ressortissants des pays d’émigration de mieux vivre chez eux, plutôt que de survivre ailleurs.

Pour les pays d’origine, comme pour ceux qui émigrent et leurs proches, les enjeux économiques et sociaux sont énormes.

a) Les montants considérables transférés par les migrants représentent une importante source de devises pour leur pays et contribuent à leur équilibre économique.

Quelques exemples :

 les 3 millions de Marocains résidants à l’étranger contribuent pour 4,3 milliards d’euros au PIB de leur pays, soit 7,6%, en 2006, dont 44% en provenance des 800 000 Marocains de France ;

 les 2,7 millions de Maliens de l’extérieur contribuent pour 456 millions d’euros du PIB du Mali, soit 11% du PIB, dont 295 millions provenaient des 120 000 Maliens de France en 2005.

b) En Afrique, le Fonds international pour le développement de l’Agriculture estime que ce sont près de 30 millions de migrants, toutes destinations confondues y compris à l’intérieur du continent, qui permettent à leurs familles restées au pays, de mieux se soigner et contribuent à une meilleure éducation pour leurs enfants. Leurs associations sont souvent à l’origine de l’alimentation en eau et à l’électrification des rues de leurs villages.

c) Enfin, les études sociologiques montrent que les migrants, par leur expérience dans les pays d’accueil, contribuent à l’évolution des pratiques et des savoir-faire des sociétés auxquels ils appartiennent.

Il est donc légitime que la France souhaite favoriser et amplifier ces impacts positifs par un programme de codéveloppement renouvelé, et qui soit partie intégrante d’une politique globale de l’immigration à la hauteur des enjeux que celle-ci pose à la Nation. Le codéveloppement qui concerne, il peut être utile de le rappeler, l’implication des migrants dans les actions de développement de leurs pays d’origine, s’adresse principalement aux 2 231 000 étrangers non européens qui résidaient officiellement en France à la fin de 2006.

III. Qu’avons-nous fait, jusqu’ici, en matière de codéveloppement ?

Deux éléments essentiels.

a) Nous avons négocié, tout d’abord, une série d’accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement.

Le Ministre d’Etat, Nicolas SARKOZY, avait signé un accord de cette nature avec le Sénégal, le 23 septembre 2006. J’en ai signé trois autres depuis la création de mon ministère : un avec le Gabon le 5 juillet dernier, un avec la République du Congo le 25 octobre et le dernier avec le Bénin le 28 novembre.

b) Nous avons aussi développé des actions originales en faveur de l’épargne des migrants.

Aujourd’hui, 80% des transferts de fonds des immigrés vers leur pays d’origine - 8 milliards d’euros au total - sont consacrés à la consommation courante. L’utilisation d’une partie de cette épargne à des fins d’investissement productif pourrait devenir un levier essentiel du développement des pays sources d’immigration.

Un service financier est proposé pour cela : il s’agit du compte épargne codéveloppement, créé par la loi du 24 juillet 2006 et permettant aux étrangers qui résident en France et souhaitent investir dans leur pays d’origine d’épargner en bénéficiant d’exonérations fiscales. Ce compte permet, en effet, d’orienter l’épargne vers des investissements productifs tout en octroyant des baisses d’impôts sur le revenu : les montants investis peuvent être déduits des revenus imposables à hauteur de 25% de ces revenus et avec un plafond de 20 000 euros. J’ai signé en septembre une première convention avec la Caisse d’épargne. Le compte est opérationnel depuis le 1er janvier.

Avec la loi du 20 novembre 2007, nous avons complété ce dispositif en créant un « livret épargne codéveloppement » qui sera disponible à partir d’avril prochain. A l’image d’un plan épargne logement, les sommes placées sur ce livret seront bloquées pendant trois années et rémunérées par des intérêts bancaires augmentés d’une prime d’Etat.

IV. Ces actions en faveur du codéveloppement, le budget 2008 dont je dispose va nous donner les moyens de les prolonger, de les diversifier et de les multiplier.

Au sein de la mission interministérielle « aide publique au développement », le programme « codéveloppement » dont j’ai la responsabilité est doté d’une enveloppe de 60 millions d’euros d’autorisation d’engagement et de 29 millions de crédits de paiement. Par rapport à 2007, cela équivaut à une augmentation de +139% des autorisations d’engagement et de +85% des crédits de paiement. V. Quelles sont donc nos priorités en 2008 ?

(1) Nous allons d’abord mettre en place un fonds fiduciaire auprès d’une institution multilatérale telle que la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement. Ce fonds nous permettra de lancer des actions visant à améliorer l’accès au système bancaire et les transferts de fonds des migrants vers leurs pays d’origine.

(2) Nous allons, ensuite, poursuivre et donner un nouvel élan à la réinstallation économique des migrants dans leur pays d’origine. Cette « aide au projet individuel » est distincte de l’aide au retour volontaire. Nous avons prévu, pour 2008, de financer 700 projets individuels d’un montant unitaire supérieur à 7000 euros.

(3) Nous allons, aussi, mobiliser davantage les diasporas afin de donner un nouvel élan aux actions bilatérales de développement. Nous y consacrerons, en 2008, 45 millions d’euros en autorisations d’engagement et 21 millions en crédit de paiement.

(4) Nous allons, bien entendu, négocier une nouvelle série d’accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement. J’ai engagé en priorité des discussions sur les migrations professionnelles avec le Mali, le Maroc, la Tunisie et les Philippines, et j’ai rouvert les discussions avec le Sénégal avec des propositions pour débloquer le volet réadmission. Des négociations pourraient aussi être ouvertes avec le Brésil, le Cameroun, l’Egypte, Haïti et la Mauritanie. Enfin, une réflexion a été engagée pour entamer à terme des négociations avec, par exemple, la Chine, les Comores, la République démocratique du Congo, et peut-être la Côte d’Ivoire et l’Algérie.

(5) Nous allons, enfin, continuer à développer nos actions en faveur de l’épargne des migrants.

Ainsi, je soutiens le site www.envoidargent.fr , mis en œuvre par vous, les banques françaises et locales ainsi que les organismes de transports de fonds qui appuie notre volonté de faciliter les transferts financiers des migrants en permettant une baisse significative du coût des transactions.

VI. Ma méthode, quelle sera-t-elle ? Elle se résume en deux mots : pragmatisme et concertation.

a) Tout d’abord, dans le cadre de ma mission, je ferai valoir une approche très pragmatique de l’aide publique au développement au sein des différents organes de gestion de l’aide publique au développement, qu’il s’agisse du Comité interministériel de la coopération internationale, du CICID ou du Conseil d’administration de votre Agence.

De ce point de vue, il conviendra d’accompagner une évolution naturelle des Documents cadre de partenariat, les DCP, de manière à assurer une meilleure articulation avec les objectifs des accords bilatéraux de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement. Parmi ces évolutions, le secteur de la santé me paraît être crucial pour nos objectifs et nous devons travailler ensemble en la matière par une bonne concertation, en amont.

Comme opérateur de référence, votre Agence est au cœur du dispositif de l’aide française aux pays pauvres. Je compte donc naturellement m’appuyer sur votre force de propositions et de réflexion, que ce soit dans le cadre des débats franco-français ou des débats internationaux sur les questions de migration et de codéveloppement. Votre expertise est précieuse et je compte la mobiliser aussi pour des évaluations, la gestion de projet sur place ainsi que pour bâtir des projets cofinancés par mon ministère et, éventuellement, d’autres partenaires comme les collectivités locales.

A titre d’exemple, je peux déjà citer l’action entamée avec votre Agence, en accord avec les autorités du Maroc, visant à mettre en place 1 000 PME de migrants en cinq ans. Ce projet associera les savoirs-faires de mes équipes et de l’AFD, dans le cadre d’un financement qui devrait associer les subventions du nouveau programme codéveloppement et les outils financiers, tels que lignes de crédit et garanties que développe l’AFD. D’une manière plus générale, il y a sans doute beaucoup à faire sur ce thème du développement du secteur privé et du codéveloppement, d’autant que cette thématique sera une priorité de la Présidence française de l’Union européenne.

2) Enfin, j’agirai dans la concertation et dans le dialogue. C’est là toute l’originalité de la nouvelle politique d’immigration que je mets actuellement en œuvre sous l’autorité du Président de la République et du Premier Ministre : pour la première fois, nous ne nous soucions plus exclusivement de nos intérêts et de nos besoins propres, mais nous définissons, ensemble, avec les pays d’émigration, une politique concertée. Ces échanges, je les conçois d’égal à égal, respectueux de nos différences. Ils donnent lieu aux accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement. Nous le savons, les pays d’émigration en sont aujourd’hui, plus que jamais, demandeurs.

***

Mes chers amis,

Respectueux de la noblesse et de l’efficacité des missions que vous menez à bien à travers le monde, je suis déterminé à travailler avec vous. Ensemble, nous devons contribuer à mettre en œuvre à une politique toujours plus juste, toujours plus équilibrée, toujours plus utile.

Si je sais que ma politique est parfois caricaturée, déformée, dénaturée, je fais une totale confiance à l’AFD pour comprendre que c’est exclusivement la justice qui anime mon action. L’aide au développement est un outil majeur de cette justice et nous en sommes, désormais ensemble, des acteurs aussi incontournables que déterminés.

Je vous remercie.